Ungrateful Dead
Ash vs. Evil Dead est une série rare car elle assume ce qu’elle est, un divertissement white trash, un délire gore et politiquement incorrecte
« Mais quel con ! » c’est ce genre d’interjection qu’on a mille fois l’opportunité de se dire, de murmurer ou de crier devant ce bon vieux Ash Williams qui se démène au cours des trois saisons de la série Ash vs Evil Dead pour contrer les menées de forces aussi anciennes que maléfiques. Ash c’est évidemment Bruce Campbell titulaire du rôle depuis 1981 année de sortie du cultissime Evil Dead, début d’une trilogie cinématographique augmentée entre 2015 et 2018 de cette série dont nous allons vous entretenir. Pour les maniaques on signalera qu’Evil Dead c’est aussi des comics, une franchise qui croisa même l’univers Marvel lors du traumatisant Marvel Zombies.
Mais revenons à nos moutons. Ash vs Evil Dead prend la suite des films mais pas tout à fait là où nous nous étions arrêtés. Vingt à trente ans se sont écoulées et le premier épisode s’ouvre donc sur un Ash qui n’est plus le jeune homme qu’il était encore dans L’Armée des ténèbres. Bruce Campbell a vieilli et Ash aussi. Ce fait sera rappeler plus d’une fois, pour rire souvent mais aussi parce qu’à plus d’un titre Ash est trop vieux pour ces conneries comme dirait l’autre. Il est doublement déphasé, d’un côté il n’est pas à la pointe du progrès contemporain et de l’autre sa vie s’est arrêtée, il a cessé de mûrir, est resté en dépit du passage des ans le même post-ados que dans les films, on pourrait même songer qu’il a régressé. Cette double inadéquation est au cœur de la série et en est la source de la comédie comme de ce qu’il y a de dramatique dans le personnage d’Ash.
Pour développer ce projet fou on retrouve l’homme à l’origine de tout, Sam Raimi, ainsi que son frère Ivan et Tom Spezialy, un producteur de séries qui nous a apporté par le passé du bon (Code Lisa, Dead Like Me, Chuck…) et aussi plus récemment cette purge de Watchmen.
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Diffusée en son temps sur Starz, OCS en France, et aujourd’hui intégralement disponible sur Netflix, Ash vs Evil Dead est une série politiquement incorrecte portée par un humour grinçant et grossier fort mal séant. Le héros Ash Williams, qui a vieilli comme il a pu, est un personnage qui n’a pas de filtre entre ce qu’il pense et ce qu’il dit. Il parle avant et ne réfléchit même pas après. L’âge ne la pas rendu plus sage. C’est un post-ado attardé qui est resté sur le bord de la route. Il est toujours cet employé de supermarché, sous qualifié et sous payé, qu’on a entre-aperçu au cinéma. Ash Williams est un personnage d’ahuri, resté coincé quelque part entre les années 70 finissantes, son adolescence, et les années 80 naissantes quand sa vie a été foutue en l’air parce qu’un jour il s’est retrouvé dans une cabane où le Necronomicon Ex Mortis (le livre des morts vaguement emprunté à l’œuvre d’Howard Phillip Lovecraft, nous y reviendrons), ouvrage malfaisant s’il en est, attendait qu’on lise ses pages à voix haute pour libérer des démons, les Deadites, sur terre. Cette vie qui n’a pas suivi son cours est représentée par la fixette qu’il nourrit pour Jacksonville - en Floride, le pays de Lynyrd Skynyrd aussi connut pour le concert massif qu’y donna Led Zeppelin. Ash est une caricature d’Américain du Midwest qui aime sa voiture, faire la fête, les drogues récréatives et boire, boire beaucoup, et quand il le peut il mélange les deux comme avec ce cocktail de son cru le pink fuck avec kétamine et vodka. Ash est aussi devenu un queutard incapable de se lier sentimentalement, il faut dire qu’avoir décapiter sa fiancée et vivre dans la peur d’un retour des horreurs que peut déchaîner le Necronomicon n’aide pas à entretenir une vie sentimentale épanouissante.
Ash n’est pas un héros positif. Il est plutôt une parodie du personnage de l’Elu qui a une sainte mission comme en regorge la fiction américaine. Le problème est que Ash n’est pas un saint, surtout avec les critères actuels, il n’est pas vraiment dans l’air du temps. Beauf, Ash l’est incontestablement. Xénophobe, plus que raciste, dragueur lourdaud et inconséquent, Ash ne manque pas de vices aux yeux de la morale contemporaine. C’est un petit Blanc du Michigan qui semble annoncé l’électorat trumpiste, du moins l’image qui nous en est médiatiquement renvoyés, avant même que celui-ci ne se soit fait entendre dans les urnes.
Par delà ces défauts, autant d’occasion de servir l’aspect comique du programme, cette série est aussi l’occasion de donner à Ash un surplus d’âme, d’épaissir le trait, même dans la caricature, d’un personnage que le cinéma n’avait qu’esquissé. Il faut bien aussi combler le temps qui s’épare sa dernière apparition sur grand écran et cette nouvelle manifestation sur nos petits écrans domestiques. Ash se découvrira papa. Le début de la deuxième saison est l’opportunité de retrouvailles contrariées entre Ash et son père (incarné par le vétéran Lee Majors, L’Homme qui tombe à pic et L’Homme qui valait trois milliards). Un retour dans la maison familiale qui est l’occasion de scènes de comédies amour/haine entre père et fils qui aident à comprendre le personnage et le naufrage que fut sa vie. Ces retrouvailles sont contrariées car dans sa ville natale Ash, surnommé Ashy Slashy, est un paria qui est tenu pour responsable des morts qui ont eu lieu dans les deux premiers films. Une réputation à laquelle son père n’est pas pour rien. Pour lui, Ash est le meurtrier de sa sœur, Cheryl (Ellen Sandweiss). Cette dernière ressuscitée fait même une furax, ramené par un esprit mauvais. Entre rire et larmes on découvre que si Ash est un con il doit beaucoup à son père (ah, cette xénophobie familiale et ce côté obsédée et dragueur), en fait les deux hommes se ressemblent beaucoup mais Ash est le héros ce que n’est pas son paternel.
Comme précédemment évoqué Ash est un Elu et en filigrane Ash vs Evil Dead moque ce cliché. Devant son héroïsme maladroit, velléitaire et brouillon on pense parfois à son quasi contemporain Jack Burton (Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin), le personnage créé par John Carpenter et campé par un Kurt Russell à contre emploi. Bruce Campbell fait merveille dans ce rôle qu’il connait si bien et qui est comme un double. Il lui donne un côté candide qui rachète souvent ce que le personnage à de tête à claque et de grande gueule exaspérante. Il rend avec justesse ce que son personnage à d’un être à la vie fracassée par des puissances qui le dépassent. Ash c’est donc ce personnage arrogant, confiant en lui, bien au-delà du raisonnable, un vainqueur comme on n’en n’avait plus vu depuis Pyrrhus, ce roi de l’antiquité qui gagnait ses batailles pour mieux perdre ses guerres. Chaque nouveau triomphe contre le Mal le jetant face à un ennemi encore pire que le précédant.
La série poursuit dans la veine initiée par les films Evil Dead 2 (fausse suite mais vrai remake au burlesque revendiqué de son prédécesseur) et Evil Dead 3 : L’armée des morts (qui élargissait considérablement l’ampleur de la lutte entre Ash et les Deadites) qui mélangeaient humour inspiré par le slapstick et les cartoons avec l’horreur gore la plus outrancière. Car Ash vs Evil Dead est une série gore, une rareté (voir Blood Drive), qui ne lésine ni sur le sang, la tripaille et la chaire en décomposition. Rares sont les humeurs corporelles à ne pas être projetées à l’écran. Les morts vivants, les Deadites, et les démons sont dérangeant jusque, et surtout, dans leur humour noir. Comme dans les films de Sam Raimi les décors de la série sont aussi sources de menaces et de périls. Quand les objets (des poupées, la voiture de Ash, un smartphone) sont possédés c’est le quotidien lui-même, l’inoffensif et l’anodin qui deviennent des menaces. Par delà son humour la série n’est pas exempt de noirceur. Elle sait, quand il le faut être un pur spectacle d’épouvante, notamment en sacrifiant certains personnages secondaires. Une attitude par ailleurs saine qui recentre l’intrigue sur Ash et aussi ses deux acolytes.
Car le principal apport de la série par rapport aux films est que cette fois Ash a le soutien de deux complices, Pablo (Ray Santiago), dévoué au Jefe, et Kelly (Dana DeLorenzo), une jeune femme volontaire et sardonique qui aime autant balancer des punch lines bien senties qu’Ash. Kelly est à plus d’un titre une version contemporaine et féminine d’Ash. Le trio impulse une bonne dynamique au récit et entouré de ses jeunes partenaires Ash gagne en humanité et devient une sorte de figure paternelle déviante, un patriarche dysfonctionnel pour les deux jeunes qu’il entraine dans ses aventures.
Pablo, au début de la série n’est qu’un collègue d’Ash, mais le jeune homme, élevé par son oncle shaman se trouve embringué dans la lutte contre les Deadites par fidélité pour Ash, qui est pour lui une image de la masculinité cool à laquelle il aspire, ensuite parce qu’il voit en lui un véritable héros. Pablo possède un genre de naïveté positive qui le rend très touchant. Il croit en l’héroïsme d’Ash malgré tout. Kelly, elle suit Ash pour venger la mort de son père tué par les Deadites mais très vite l’aspect vengeance passe en retrait car Kelly, plus caustique et moins premier degré que Pablo, a pris plaisir à combattre le mal.
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La saison 2 impose à la fine équipe de collaborer avec Ruby (Lucy « Xena la guerrière » Lawless) l’antagoniste principal de la saison 1 puis de la saison 3 pour l’aider à tuer sa progéniture démoniaque et à régler son compte à son ex le démon Baal (Joel Tobeck). Ruby est un personnage moralement contrasté comme on ne peut que les aimer. Celle qui au début de la série prétendait être la fille du professeur d’archéologie Raymond Knowby, le possesseur du Necronomicon Ex Mortis dans le premier film, et la sœur d’Annie Knowby qui apparaît dans Evil Dead 2, est une femme fatale du surnaturelle qui oscille entre Bien et Mal, bourreau et victime, humanité et monstruosité. Cette fluidité contraste avec l’aspect plus monolithique d’Ash. Ruby est elle aussi un ajout bienvenue.
Derrière l’esprit potache, Ash vs Evil Dead propose un univers dont l’horreur emprunte à un imaginaire lovecraftien, l’apparition peu avant le dénouement d’une créature aux proportions cthulhuïennes ou d’anciennes entités divines qui veulent revenir sur Terre après en avoir été chassées ne sont pas justes des clins d’œil au reclus (qui ne l’était pas tant que ça) de Providence. Ash est clairement le jouet de forces qui le dépassent, une pièce sur un jeu d’échec. Ça naïveté l’empêche sans doute de plonger dans la folie. On pourrait même se laisser aller à voir dans sa xénophobie un échos aux lubies les moins reluisantes du bon Lovecraft, à ceci prêt que le milieu social d’Ash le rattache plutôt à ces petits blancs dégénérés pour lesquels l’auteur n’avait pas la plus débordante des tendresses.
Ash vs. Evil Dead est enfin, parce qu’il faut bien conclure quelque part, une série rock, un hommage à la musique des années 70 et 80. Le retour d’Ash dans sa chambre d’ados avec ses posters (un notamment de Suzi Quatro dont nous disons ailleurs le plus grand bien) et une bande son bien choisie combleront les amateurs de titres millésimés.
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Oui tout est permis dans le monde d’Ash ! Tout, à commencer par le n’importe quoi le plus décomplexé car Ash vs. Evil Dead n’est pas une série sérieuse, elle en est l’exacte opposée. Elle est à des années lumières de séries qui s’écroule sur elle même sous le poids de leur sérieux (The Walking Dead et tant d’autres) ou de leur importance (The Handmaid's Tale). C’est une série amusante, ce qui ne l’empêche pas de tacler la bêtise environnante : la xénophobie, le machisme… Ash a beaucoup de certitudes qui ne l’empêchent pas d’être largué et d’avancer sans boussole. Tout est possible comme de voyager dans le temps pour changer le présent, et oui pour ceux qui l’ignore le Necronomicon ex Mortis permet d'aller dans le passé.
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Le plus grand regret que nous nourrissons quant à Ash vs Evil Dead est que ce soit déjà fini alors qu’il y a tant de séries ineptes ou pire suffisantes qui durent encore et surtout perdurent dans la médiocrité. Le monde est un bien triste endroit.
R.V.