Comme un goût d’années 50
Même si la chose est rare il y a parfois des albums qui sont des remakes. Foreverly, en plus d’être le fruit de la collaboration de Norah Jones et de Billie Joe Armstrong, est une de ces raretés.
Parfois il est difficile de faire court, pour ceux qui ont la flemme : Foreverly est un superbe album, la rencontre inattendue de Billie Joe Armstrong et Norah Jones avec les Everly Brothers.
Il y a ce moment de plaisir rare, quand on fouille dans les bacs d’un disquaire, s’il y en a près de chez vous ils sont ouverts même quand ce n’est pas le disquaire day, où l’on découvre très exactement ce qu’on ne cherchait pas et que pourtant on sait instantanément qu’on va l’adorer. Ce n’est pas le genre de sérendipité qui sauve des vies mais celle plus petite qui met du soleil dans l’existence de l’amateur, amatrice, de musique. C’est le genre d’expérience vécue en tombant par le plus grand des hasards sur Forverly, l’album enregistré en duo par Billie Joe Armstrong et Norah Jones qui rend hommage aux Everly Brothers, et je me demande comment j’ai pu passer à côté de cet album sorti en 2013 ? Il y a six ans ! Parce que même si je n’écoute pas vraiment les derniers albums de Green Day, le groupe de monsieur Armstrong, adolescent dans les années 90 je leur serai à vie reconnaissant pour Dookie. Moi qui pensais que la carrière de Billie Joe n’avait pas vraiment de secret pour moi, je me trompais. Rien ne me préparait à une telle surprise.
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La présence de Norah Jones est un peu moins surprenante. Je sais que depuis 2002, l’année de Come Away with Me, mademoiselle Jones a fait preuve d’un éclectisme réjouissant que ce soit en solo, en invitée de luxe (sa performance sur l’album Peeping Tom, l’un des nombreux projets de Mike Patton, pour un Sucker qui transpire le plus souverain mépris) ou avec des projets comme le groupe country les Little Willies avec lequel elle a enregistré deux albums. Le batteur de ces derniers, , officie d’ailleurs ici avec une frappe subtile qui marque tout en douceur les rythmes lents et se fait plus présente sur les morceaux rapides. Je connais l’éclectisme de Norah Jones mais la voir faire équipe avec le chanteur-guitariste-auteur-compositeur de Green Day ça non plus je ne l’avais pas vu venir et pourtant je sais que je vais aimer et…
Et je ne suis pas déçus. Mais reste une question, comment ai-je pu passer à coter ? Deux stars, un album qui n’est pas sorti sur un obscure label indé et pourtant… Il y a quelque chose de tellement américain dans cet album. Le genre d’américanisme qui n’intéresse pas vraiment la France. Pour être poli et ne fâcher personne on parlera d’americana mais en fait c’est bien de country dont il est question ici. Cette country qui est le blues des petits blancs et qui a fort peu à voir avec les cow boys mais qui trouve plutôt sa source dans les Appalaches et encore au-delà dans la vieille Europe et singulièrement dans les chansons populaires des îles britanniques, l’Angleterre et l’Irlande mais aussi l’Ecosse.
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Il faut à présent remonter dans le temps revenir à l’année 1958 et le deuxième album des Everly Brothers, Songs Our Daddy Taught Us, puisque Foreverly en est le remake. Les frères Everly, Don, l’aîné, et Phil, le cadet, ne pouvaient se souffrir mais quand ils chantaient tout les deux, qu’ils harmonisaient ensemble, ces frères ennemis vous font entendre une musique céleste bien que fondamentalement terrestre. Songs Our Daddy Taught Us est un album de chansons apprises par papa (on n’invente rien c’est dans le titre), c’est un enregistrement dépouillé, deux voix, un peu de guitare rythmique en accompagnement, un rien de contrebasse pour une bonne assise et permettre aux harmonies vocales de prendre leur envol et rien d’autre. Nous sommes dans l’anti superfétatoire et en vrai il n’y a rien à ajouter. Ce qui compte ce sont les voix juvéniles de Don et Phil. Ces frères furent inspirés par les Louvin Brothers, qui les précédèrent de quelques années, et inspirèrent à leur tour Simon & Garfunkel et quelques autres.
Foreverly n’est pas aussi dépouillé que l’original des frères Everly même si cet album enregistré en neuf jours à New York est selon les critères contemporains plutôt sobre dans son orchestration témoignage d’une certaine fidélité à son inspiration. Il y a ça et la un rien de piano, Norah Jones n’a pas qu’une jolie voix, elle fait aussi de belles choses avec un clavier, des guitares slide et twang, une batterie discrète, du fiddle (le violon du folk et de la country) et même de l’harmonica sur Roving Gambler le titre qui ouvre l’album.
Si l’orchestration est plus riche elle reste dans un esprit années 50. Les voix sont très en avant, les instruments leurs font des écrins différents pour chaque chanson. La berceuse Who’s Gonna Shoe Your Pretty Little Feet ? se limite à un accompagnement de guitare acoustique pour une ambiance comme à la maison. La murder ballad Down in the Willow Garden est un bijou gothique hantée par une guitare slide alors que la batterie de plomb, jouée avec une lenteur implacable, sonne comme les coups du destin ce qui sied à merveille à cette histoire de meurtre sordide qui finit sur l’échafaud. D’autres titres les plus enlevés lorgnent sur la country vintage entre honky tonk et bakersfield sound avec même une pointe de bluegrass, la mandoline de Lightning Express. Foreverly n’est pas pour autant un album nostalgique, nous ne sommes pas dans Happy Days, il y a dans cet enregistrement un succulent parfum de rock’n’roll naissant, de country millésimée qui fait un bien fou, une simplicité rafraichissante au service des voix entrecroisées de Norah et Billie Joe. Les fans de Green Day seront étonnés par cette musique qui baigne entre la torpeur des titres lents et l’entrain tranquille des morceaux rapides.
C’est l’homme de Green Day qui semble le plus loin de ce qu’il a l’habitude de produire avec son groupe mais quand on y regarde de plus prêt il n’est pas le premier punk californien à se pencher sur la country et le rock’n’roll originel depuis Exene Cervenka et John Doe, des légendaires X, au sein des Knitters, à Mike Ness avec ou sans Social Distortion, on sait que les Californiens aiment mettre de la country dans leur punk rock et injecter une bonne dose de rock dans leur country. Peut-être pensait-il à ça quand il a impulsé le projet avec dans l’idée d’une part de rendre hommage aux Everly Brothers, qu’il écoutait beaucoup à ce moment-là, et d’enregistrer un album en duo avec Norah Jones. Se faisant il se démarque des enregistrements des deux frères, et l’on peut comprendre qu’il eut été vain et risqué de chercher à marcher sur leur plate-bande avec un duo masculin, mais se faisant il retrouve une autre tradition country celle du duo homme-femme (Dolly Parton/Porter Wagoner, Tammy Wynette/George Jones, Loretta Lynn/Conway Twitty…).
Foreverly est une merveille dont on ne se lasse pas. Le répertoire, qui reprend celui de Songs Our Daddy Taught Us mais pas tout à fait dans le même ordre, frôle la perfection mais avec des chansons comme Barbara Allen difficile de se tromper. Il y a tout au long de l’album une évidence, on pourrait presque croire que Norah Jones et Billie Joe Armstrong ont joué ensemble toute leur vie. Là réside peut-être le secret de ce disque et la raison pour laquelle ces deux artistes qui viennent d’horizons différents peuvent si facilement donner l’air de se connaitre depuis toujours en chantant ces chansons c’est qu’il s’agit d’un album folk, que ces chansons restent encore vivaces chez nombre d’Américains musiciens ou simples amateurs de musique. Foreverly n’est pas une révolution mais ce qu’il fait il le fait bien et souvent il transmet des émotions sincères ce qui est déjà énorme. Bien d’avantage en tout cas qu’une révolution vite oubliée.
R.V.