La tentation des années 70
Ce sont dans de vieux chaudrons que Lucifer concocte ce genre de potion magique dont on raffole
Lucifer III est le troisième album de Lucifer, il fait suite en toute logique à Lucifer II qui nous avait tapé dans l’oreille à sa sortie. Lucifer est plus que jamais ce groupe germano‑suédois qui avait enchanté notre été 2018 avec, ce qui n’est pas si fréquent pour un groupe de heavy metal même classique, un album solaire. Lucifer II était un album californien comme seul des Européens pouvaient le rêver. En 2020 le ton change légèrement, Lucifer publie son petit nouveau alors que le monde s’enferme pour cause de Covid-19, sont-ce ces circonstances qui influent sur ma perception de cet album et m’incite à y trouver plus de ténèbres que dans son aîné ? Peut-être un peu oui mais pas seulement. Ici la mort rôde, il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil au tire « Ghosts » et « Midnight Phantom » ouvrent le bal plus loin c’est « Coffin Fever » et le tout se referme sur « Cemetery Eyes ».
En 2020 Johanna Sadonis est toujours aux commandes du groupe qu’elle a créé après la séparation de Oath aidée dans son entreprise, depuis le précédent album, par son conjoint le légendaire multi-instrumentiste Nicke Andersson - qui jeune homme fut au sein d’Entombed une des figures du death metal suédois. Cette fine équipe germano-suédoise revient pour déverser sur le monde (qui ne le mérite sans doute pas) ce hard rock et ce heavy metal millésimé du meilleur aloi. Laissant à d’autre le soin de révolutionner la musique Lucifer écrit et joue des chansons solides et efficaces, pas bien innovantes se plaindront les esprits chagrins mais follement séduisantes et qui raviront les amateurs de ce genre de rock hard et heavy dont les années 70 avaient le secret. Sidonis et ses garçons ne défrichent pas de nouveaux territoires, non ils labourent plutôt le champ ouvert avant eux par d’augustes pionniers comme en vrac Thin Lizzy, Nazareth, Blue Öyster Cult… Tout l’art de Lucifer est de prouver à chaque récolte, comprendre nouvel album, que ces terres sont encore fertiles à condition de les travailler avec amour, passion, savoir-faire et aussi un rien de talent.
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Lucifer III ne renouvelle donc pas de fond en comble les acquis de son devancier sans en être la copie carbone pour autant. Lucifer III est plus sombre que son prédécesseur, moins clinquant. Comme un retour à la réalité après l’errance onirique californienne. Ce ton crépusculaire apparaît aussi dans la pochette. Le rouge de Lucifer II laisse place au noir comme couleur dominante, reste le cuir et la blonde chanteuse au milieu. Centre de l’attention. A l’arrière-plan est-ce le soleil qui se couche ou une ville qui brûle ? Cities on flame with rock’n’roll comme le chantait Blue Öyster Cult le groupe culte qui semble bien avoir influencer cette image. Cimetière et rolls royce noir comme une odeur de soufre. Insondable mystère ésotérique et invitation au voyage.
Résolument rétro la musique de Lucifer est moins une forme de nostalgie qu’une échappatoire, une porte ouverte sur des ailleurs. Comme pour Tanith (In Another Time) autre groupe qui lorgne vers les années 70, avec il est vrai pas mal d’années 80 aussi pour ces derniers, Lucifer s’approprie la syntaxe et le vocabulaire du rock, du hard rock et du heavy metal (dans les années 70 ces frontières étaient encore floues) non pas pour dire que c’était mieux avant mais pour tracer le chemin vers d’une évasion hors du quotidien - qui est à l’heure où l’on écrit celui du confinement à cause du corona virus et de cette crise économique majeur qui nous pend au nez. On peut hélas compter sur le future pour trouver d’autres raisons de rendre nos vies peu agréables.
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Maîtresse Sadonis officie et entre deux invocations lucifériennes ouvre des portails sur des mondes oniriques de ceux dont sont faits les bons comme les mauvais rêves, la frontière entre les deux est si ténue. La voix de la chanteuse allemande est mise en valeur par la production qui lui trouve une place au milieu du tintamarre groovie et rugueux que font les hirsutes Varègues qui l’escortent. Et si Sadonis est la grande prêtresse qui mène cette bacchanale, la sirène qui charme et attire des navigateurs par trop aisément captivés il faut reconnaître que les prêtes qui composent sa suite ne sont pas pour rien dans l’enchantement.
La musique de Lucifer n’ennuie jamais. Il se passe toujours quelque chose entre la voix, les riffs et les solos de guitare ou la batterie roborative le tout rejoint çà et là par des giclures d’orgues ou de piano. Lucifer III dure trente-neuf minutes et des poussières comme les bons vieux albums vinyles de jadis, un temps idéal en fait, le plus propice à une écoute attentive en fait. Le temps nécessaire pour enfoncer le clou déjà martyriser avec Lucifer II les amateurs d’album à l’ancienne seront aux anges déchus et aurait bien tort de ne pas se laisser tenter. Il n’y a ni tort ni raison à aimer ou pas Lucifer en 2020. Johanna Sadonis et ses compères sont juste une façon très plaisante de tuer le temps.
R.V.