Dieu est Américain
Watchmen est un film énorme qui questionne en profondeur les supers héros comme on l’a rarement vu au cinéma depuis alors même que se multiplient les films de héros costumés
Réalisation : Zack Snyder
Scénario : David Hayter & Alex Tse d'après le comics de Dave Gibbons & Alan Moore Distribution :
Année : 2009 |
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Synopsis : Edward Blake, alias le Comédien, un ancien héros costumé des années 40 est retrouvé assassiné, un de ses collègues costumé Rorschach mène l’enquête craignant qu’on ne s’en prenne aux autres supers héros retraités.
Question, que reste-t-il de Watchmen – Les Gardiens, dix ans après sa sortie en salle et alors ? Depuis la sortie du film de Zack Snyder les longs métrages de superhéros représentent une part significative de la production cinématographique hollywoodienne, au moins du point de vue des entrées en salle avec une assez belle régularité pour le Marvel Cinematic Universe et une fortune plus aléatoire pour D.C., la maison rivale. Les productions super héroïques sont si présentes qu’elles sont ce qui distingue la période de l’histoire du cinéma états-uniens que nous vivons de celles qui l’ont précédée. Et bien le film de Zack Snyder reste singulier et à plus d’un titre. D’abord parce que c’est une adaptation d’une œuvre d’Alan Moore, avec Dave Gibbons au dessin, qui a créé une relecture post-moderne des super-héros qui passe sans encombre les ans, et ensuite parce que même si Snyder n’a pas que des admirateurs il est de ces réalisateurs qui savent proposer des univers visuels forts ce dont une œuvre comme Watchmen a besoin.
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Watchmen est une adaptation ce qui n’est pas souvent le cas des autres films de supers héros qui vont opter le plus souvent pour une recréation composite. Pour son film Snyder et les deux scénaristes, David Hayter et Alex Tse, suivent presque planche par planche la bande dessinée et font même du mot à mot. Il y a néanmoins quelques coupes, le director’s cut rétablit certaines scènes coupés lors de la sortie en salle, et des altérations du comics plus ou moins subtiles. Certaines ne sont pas mal venus, les modifications au grand projet du méchant sont plutôt habiles, d’autres relèves de questions qu’on qualifiera d’esthétiques, le deuxième Hibou (Patrick Wilson) n’est pas dans le film le quarantenaire rondouillard qu’il est dans les comics, et puis il y a Rorschach (Jackie Earle Haley). La version filmée est moins, comment dire, répugnante que celle d’origine, ce personnage est à l’écran moins abrasif. Ses sympathies d’extrême droite sont estompées et sa profonde misogynie maladive ne le conduit pas dans le film à balayer d’un revers de main la tentative de viol du premier Spectre soyeux (Carla Gugino, qu’on retrouvera dans Sucker Punch du même Snyder) par le Comédien (Jeffrey Dean Morgan). Le duo Moore et Gibbons avait créé une bande dessinée à part, qui ne s’inscrivait dans aucune continuité pesante qui est la marque des grandes séries chez D.C. et Marvel, un comics différent de ce qui se faisait alors et de ce qui s’est fait depuis, il y a peu d’œuvre qui déconstruise la mythologie des supers héros avec autant de talent et à sa façon Watchmen, le film, est lui aussi sans pareil dans la production super héroïque proposée par Hollywood.
Car il y a peu de films de super héros qui questionne l’existence même de ce genre de personnages. On moquera les tropes, conventions et clichés du genre, avec Deadpool et les blagues autour de l’atterrissage des super héros, mais jamais au fond on ne questionnera la figure du héros costumé et de ses actions. Iron Man présente un Toni Stark (Robert Dawney Jr., pour ceux qui sortant d’une hibernation de 10 ans ne le sauraient pas) qui est très loin d’être un personnage positif mais à aucun moment on ne remet en doute son statut de héros ni n’interroge la pertinence de ses actes. Watchmen questionne les héros costumés en tant que héros et aussi leurs actions. Et à la fin du film le public à plus de questions qu’il n’a de réponses.
Watchmen est par ailleurs une uchronie, notre monde tel qu’il aurait pu être, si dans les années 40 des Américains inspirés par les comics de Superman avaient enfilé des costumes ridicules pour combattre la délinquance et si ensuite un surhomme n’avait vu le jour chamboulant par sa seule présence l’équilibre des forces entre l’Est et l’Ouest. Watchmen est en suspension entre rêve et cauchemar, Nixon élu quatre fois à la présidence des Etats-Unis, bien aidé par une affaire du Watergate qui n’a jamais éclose grâce aux actions qu’on devine condamnables du Comédien et par un Dr. Manhattan (Billy Crudup) qui parce qu’il est tout puissant à en quelques jours a mis à genoux le Vietnam du Nord. Dans Watchmen les Etats-Unis n’ont pas perdu la guerre du Vietnam, ce qui est très grosse divergence avec notre monde. Ce jeu avec la grande histoire fait défaut à l’univers Marvel qui offre au mieux, en étant vraiment très gentil, un commentaire sur l’actualité mais qui le plus souvent ne semble pas avoir de passer en dehors des nazis sont méchants mais moins qu’Hydra. C’est encore dans les films X-Men pour Universal qu’on trouve une réflexion sur l’impact historique de ces supers individus sur le monde qui les entoure et leur place dans l’Histoire depuis les camps de concentration nazis jusqu’à la crise des missiles…
Pour lever les ambiguïtés, je trouve les films de Zack Snyder infiniment aimables malgré leur fond qui n’est que rarement en accord avec mes opinions politiques. 300 a été une claque esthétique et j’ai un tendre penchant pour Sucker Punch. Snyder est un des stylistes de notre temps pas très loin des sœurs Wachowski (dont par ailleurs je ne suis pas fan du travail, même pour l’adaptation d’une autre pièce maîtresse de l’œuvre d’Alan Moore, V pour Vendetta). Snyder a un œil qui s’impose dès le début de Watchmen avec la séquence pré-générique, ce combat fluide et brutal, chorégraphie agressive et fatale, suivit d’un générique qui pause en image la mythologie dans laquelle s’inscrit Watchmen, quatre décennies d’histoire racontée en images. Snyder n’aura de cesse par la suite de chercher à placer ces personnages pas seulement dans le passé des U.S.A. à la en les glissant dans un patrimoines audio-visuels à la manière de Forest Gump mais en leur donne de la présence, que ce soit Ozymandias devant le Studio 54 ou Silhouette qui se substituant au marin d’une célèbre photo embrasse une infirmière lors des célébrations de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Snyder iconise ses personnages, et surtout nous voyons comment ces personnages influent sur l’Histoire, modifient la marche du monde.
Le réalisateur réussit la transposition des personnages de Watchmen du monde de l’écrit, le comics d’origine, à celui de l’audiovisuel. Les personnages regardent la télé et parfois y passent. Le travail sur la bande-son est plaisant et évite l’écueil de la B.O. jukebox bêtement illustrative ou par trop à côté de la plaque. Les chansons utilisées dans le long métrage sont des tubes qui nous rendent familier cette autre réalité mais avec souvent un rien d’ironie. « 99 Luftballons », du groupe allemand Nena, est un échos de la guerre froide quand on avait peur que les blocs n’en viennent à se balancer des missiles nucléaires à la gueule, un tube du début des années 80 qui évidemment prend un sens tout particulier dans une histoire qui voit la Guerre froide se réchauffer brutalement. Parfois la chanson offre un contrepoint et un commentaire sardonique sur ce que l’on voit à l’écran comme quand, pour illustrer une scène d’émeute en 1977 plutôt que d’aller chercher une chanson punk enragée c’est un tube disco qui accompagne le maintien de l’ordre brutal à la manière du Comédien. Mais « I’m Your Boogie Man » de KC and the Sunshine band peut aussi être pris au sens propre, le Comédien est le boogie man (le croque-mitaine) de la société américaine, son sourire ne l’empêche pas d’être une figure inquiétante qui hante les nuits sans sommeil et la mauvaise conscience des Etats‑Unis.
Watchmen est l’un des meilleurs films avec des supers héros à n’avoir jamais été tournée. A l’image de sa source c’est un projet monstre, ici cela se traduit entre autre par le nombre d’acteur que l’on voit à l’écran et un montage en salle de plus de deux heures trente et un autre de trois heures pour les complètistes qui n’en n’ont pas eu assez. Et plus le cinéma hollywoodien nous vend des supers héros (fussent-ils divers racialement, fussent des super héroïnes modèles positifs pour les petites filles) plus le film de Snyder prend d’importance pas comme une sorte d’antidote mais comme un contre‑poids salutaire à la domination des productions supers héroïques.
Dix après alors qu’une série sur HBO arrivera bientôt sur les écrans il est bon de se replonger dans le film de Snyder et de lire et relire le roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons.
R.V.