Bruit Blanc
White Light, White Heat, White Trash un titre ternaire pour un album plein de rage, de colère et de tristesse
"Ignorance like a gun in hand |
Le cerveau humain est une drôle de petite chose qui ne manque pas de facétie. Ainsi en regardant le pénible Watchmen, la série créée par David Lindelof pour HBO (une chaîne qu’on a connu plus inspiré même si ces derniers temps il y a quelques motifs d’inquiétudes), je ne pouvais m’empêcher de revenir à cet album au nom clin d’œil au Velvet Underground et singulièrement à ces deux vers de la chanson « Don’t Drag Me Down » :
« You’re eighteen want to be a man
Your granddaddy’s in the Ku Klux Klan »
« You’re eighteen want to be a man
Your granddaddy’s in the Ku Klux Klan »
Laissons ça de côté. White Light, White Heat, White Trash est le cinquième album studio de Social Distortion il a la lourde de tâche de succéder à deux cartons Social Distortion (1990), avec des titres aussi prenants que « Ball And Chain » ou la reprise de « Walk The Line » de Johnny Cash, et surtout à Somewhere Between Heaven And Hell (1992), qu’il n’est pas aberrant de tenir pour leur meilleur de ce que le groupe a enregistré depuis sa formation. Mike Ness (voir la critique de son solo Under The Influences) et ses sbires suivront pourtant une autre voie que celle qu’ils empruntaient depuis trois albums pour White Light, White Heat, White Trash et tourneront momentanément le dos à ce qui avait fait la patte du groupe depuis sa résurrection et la sortie de Prison Bound en 1988. Sur White Light, White Heat, White Trash les influences musicales country et rockabilly ont disparu au profit d’un son plus dur et agressif, comme un retour au source punk d’un groupe formé en 1978 et dont le premier album remontait déjà à 1983. De la période précédente il ne semble guère rester, en piste mystère, qu’une reprise des Rolling Stones (Ness est le plus stonien des punks californiens) avec le cruel et misogyne « Under My Thumb » un pendant au tout aussi peu aimable pour la gente féminine « Backstreet Girl » autre titre sixties signé par Mick Jagger et Keith Richards présent lui sur Prison Bound.
Les Stones demeurent et aussi malgré tout ce que l’on pourrait appeler une sensibilité country, « Dear Lover » qui ouvre l’album est une de ces chansons crève-cœurs trempées dans un sentimentalisme de bonhomme. Dans un registre proche « Untitled » est un mid tempo douloureux parce qu’un amour qui est mort n’est jamais facile à vivre. Cet esprit country vivote dans les romances qui finissent mal en général comme dans l’aspect biographique d’une chanson comme « I Was Wrong » pourtant quelque chose à changer par rapport à Somewhere Between Heaven And Hell.
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Le son de la batterie plus puissant et le jeu plus rustique, solide et brutale sont pour beaucoup dans cette impression de changement. Christopher Reece a laissé les baguettes qu’il a tenu pour Social Distortion entre 1984 et 1994. Il est facile de minimiser l’importance du batteur dans le groupe mais on sait que The Clash a beaucoup gagné avec l’arrivée de Topper Headon ou que du propre aveu de Robert Smith le son de Cure à ses débuts était tributaire du jeu très limité du batteur. Si les notes de pochette crédite Chuck Biscuits (cogneur de fut chez les légendes canadiennes de D.O.A. mais aussi Black Flag, Samhain et Danzig avec Glenn Danzig) comme batteur c’est Dean Castronovo qu’on entend sur l’album. Ce martellement violent peu compatible avec le shuffle country propulse les chansons du groupe vers d’autres pâturages moins verts. Ce durcissement du ton semble corresponde à l’air du temps musical, le punk U.S. entre Green Day et Offspring atteint des sommets dans les ventes d’album, le rêve des Ramones de succès commercial et de passage à la radio sera réalité pour d’autres. Le grunge même si moribond avec le suicide de Kurt Cobain a rebattu les cartes rendant acceptable pour le grand public une agressivité sonore qui aurait été peu admise quelques années plus tôt. Pour entendre Chuck Biscuits à l’œuvre derrière les fûts pour le compte de Social Distortion il faut se reporté à l’album en public Live At Roxy paru en 1998 et qui en quelque sorte documente la tournée qui a suivi la sortie de l’album.
White Light, White Heat, White Trash n’est pas seulement plus violent que ces trois prédécesseurs il fait aussi la part belle à des sujets sociaux et développe même çà et là un discours de classe, « Down Here (With The Rest of Us) », l’avant dernier titre et son martellement implacable. Social Distortion est un groupe de rock prolétaire comme les Etats-Unis en produisent (produisaient ?) régulièrement avec Bob Seeger de Détroit (plus populaire outre-Atlantique que ne le furent jamais les Stooges ou le MC5) et Creedence Clearwater Revival dans les années 60, Bruce Springsteen avec le E-Street Band dans les années 70 et plus près de nous les Dropckick Murphys. Le degré de politisation peut varier mais ces groupes chantent l’Amérique des prolos, des petits blancs et des white trash et surtout ils chantent pour elle. Cette attachement aux gens simples explique à la fois que ces groupes sont populaires chez eux aux Etats-Unis et aussi la relative indifférence dont ils jouissent dans l’Hexagone auprès des médias même spécialisés. Comme pour la country, ces artistes sont bien trop (petits) blancs pour intéressés la critique musicale intello française mais pour l’amateur de rock, Social Distortion est un incontournable, une source infinie de plaisir, une délectation de tous les instants.
R.V.