Le 51ème état
Une histoire simple ne fait pas un film simpliste car ce qui compte c’est moins l’histoire que sa mise en images qui bougent
Titre original : The 51st State
Réalisation : Ronny Yu Scénario : Stel Pavlou Distribution :
Année : 2001 |
|
Synopsis : Elmo Mc Elroy élabore pour compte du Lézard, un important trafiquant, des drogues depuis quelques années déjà. Sa nouvelle création promet de révolutionner le monde des narcotiques mais Mc Elroy à d’autres aspirations. La première est de se débarrasser du Lézard.
Les circonstances précises qui m’ont conduit dans une salle de cinéma en juillet 2002 pour aller voir Le 51ème état sont sorties de ma mémoire. Les raisons pour lesquels je choisis ce film-là précisément et pas un autre à la fiche sont quant à elles parfaitement claires, il y a ce qu’on ne parvient pas à oublier, Christophe Lemaire en avait fait son film du mois dans Rock & Folk et depuis cette séance de cinéma je me fie au goût de ce critique qui a passé un temps franchement déraisonnable à s’envoyer dans le cerveau ce que le monde compte de plus déviant et parfois de plus consternant de séries B et Z et ce depuis genre un demi-siècle. Et ce petit film de pas grand‑chose, une co-production britannico-cadienne, m’a mis une joyeuse claque et reste un de ces longs métrages que je prends plaisir à revoir de temps en temps pour passer un bon moment. Assez d’introspection et de narcissisme place au film.
Le 51ème état du Hong-Kongais Ronny Yu n’aurait sans doute pas vu le jour si Guy Ritchie (Arnaques, crimes et Bbtanique et Snatch) n’avait ressuscité le polar anglais en lui faisant subir un traitement de choc qui devait beaucoup il faut bien l’admettre à Quentin Tarantino et les deux films de gangsters qui lancèrent sa carrière Reservoir Dogs et surtout Pulp Fiction qui a reçu la Palme d’or 1994 et a été un gros succès en salle. Le style Ritchie fait d’humour et de violence hyperbolique autant que cartoonesque a fait son petit effet au moins en terme d’entrer en salle, assez en tout cas pour motiver des producteurs à financer un films de gangsters qui a pour cadre la grisaille de Liverpool et dont l’objet est la recette de la drogue ultime. Ronny Yu n’a évidemment pas la fibre londonnienne et le verbe cockney de Guy Rchie et Liverpool, qui lui sert de décors, ne lui est sans doute pas particulièrement chaire ce qui ne dessert pas le long métrage. C’est qu’entre les personnages de Samuel Lee Jackson, le chimiste Elmo McElroy qui arrive en ville, et celui d’Emily Mortimer, Dakota Parker, la tueuse à gage très compétente, qui revient après des années d’absence on se doute qu’ils sont l’un et l’autre un peu hors sol et que leur arrivée dans la ville des Beatles est purement fortuite, le fruit des circonstances. Le régional de l’étape, le Liverpuldien fière de l’être, le supporter des reds qui se démènent pour aller voir le derby contre les rivaux de Manchester United et aussi le petit truand local c’est Felix DeSouza (Robert Carlyle), il est accessoirement le lien entre Elmo et Dakota comme ils le découvrent bien assez tôt. L’attrait du film réside dans la dynamique qui se crée entre ces trois protagonistes qui propulsent un film qui n’a par ailleurs pas vraiment de temps morts.
C’est ce trio qui est au cœur du 51ème état et c’est autour d’eux que s’agitent une poignée de personnages secondaires plus ou moins dangereux. Il y a un flic ripoux et son partenaire, des gangsters de Liverpool, dont une bande de skinheads magnifiques de crétinisme, et le Lézard (Meat Loaf), un criminel américain qui est l’ancien employeur d’Elmo et qui aimerait bien remettre la main sur lui. Le 51ème état est un jovial jeu de massacre qui ne s’excuse de rien et dont peu de personnages sortiront vivants. Dans ce contexte la recette de la dernière drogue inventée par Elmo n’est rien d’autre qu’un bon vieux MacGuffin une variante narcotique du mirifique faucon en or des chevaliers de Malte objet de toutes les convoitises dans un certain roman de Dashiell Hammet adapté sur grand écran par John Huston avec Humphrey Bogart et Mary Astor. Un prétexte pour faire rire et frissonner devant les méfaits de gens peu recommandables.
Les personnages sont caricaturaux et ce n’est pas en soit un mal, ils sont brossés à grands traits et n’évoluent pas ou que très marginalement, ils n’en n’ont pas le temps. La caricature participe de l’humour déjanté du 51ème état et favorise le rythme rapide de la narration en donnant aux personnages quelques traits visuels et des motivations rapidement cernées. Samuel L. Jackson est un afro‑américain super cool qui porte divinement le kilt et qui finit le film à poil en toute décontraction. Son arrivée à Liverpool va provoquer une vraie saint Barthélémy du mitan comme dirait l’autre mais il semble beaucoup s’amuser au milieu des balles qui volent et de la merde qu’il sème. Il est en quête d’émancipation, même s’il faudra attendre la fin pour comprendre toutes ses motivations. Face à temps de coolitude, et parce que la tueuse jouée par Emily Mortimer (à l’affiche notamment du Retour de Mary Poppins) est elle-même d’une classe quasi-imperturbable quand elle manipule ses plus ou moins gros objets phalliques qui sont ses outils de travail, Robert Carlyle à toute la latitude pour en faire des caisses entre son amour des reds, qui le pousse à aller narguer chez eux les Mancuniens, jusqu’à sa détestation des Américains, il est parfait dans son rôle de petit teigneux façon Joe Pesci des rives de la Mersey.
Le reste de la distribution ne manque pas non plus de personnages savoureux depuis le vieux caïd Durant (Ricky Tomlinson) jusqu’au très volubile et passablement dérangé Iki (Rhys Ifans) les occasions de rire ne manquent pas au milieu de cette bande de personnage plus ou moins dégénéré.
Combien de fois avons-nous vu et reverrons-nous encore de scènes de contrôle de police sur une route déserte dans le cinéma U.S. ? Beaucoup sans doute, c’est un champ mille fois labourés dans lequel il n’est pas simple de faire du nouveau ou à défaut du différent. Ronny Yu y parvient et pour ça il a recourt à l’ellipse pour nous épargner ce qu’on a déjà vu cent fois, il ne garde de cette scène que la substantifique moelle : le verbiage nerveux et intoxiqué d’Elmo qui a bien fêté son diplôme en pharmacologie, ses tentatives pour amadouer le policier et au final son échec et un intense désespoir alors que sa vie par en fumé. Face à Samuel L. Jackson, Nigel Whitmey est une silhouette de policier, anonyme au visage ou presque, tout ici est dans le détail, des lunettes de soleil, un chapeau et un uniforme, la fonction l’emporte sur l’individu, il ne dit qu’une phrase et dans le contexte de la scène il s’agit d’une sentence divine, d’une peine à vie. En nous épargnant le convenu Yu donne de la force à son entrée en matière épurée.
|
Le 51ème état n’est ni un long métrage révolutionnaire ni un chef d’œuvre du septième art, c’est une honnête série B qui ne recule devant pratiquement rien (y compris un soupçon de scatologie) pour vous faire passer un bon moment ce qui n’est déjà pas si mal. Surtout Ronny Yu fait sa bien, c’est du très beau travail d’artisan et comme tout le monde ne peut pas être un géni il faut aussi louer ces petits maîtres et leurs réalisations qui sont parfois plus réjouissantes, aimables et savoureuses que certaines de ces grosses machines dont on gave les foules ou qui émerveille la critique en recherche de grandes œuvres écrasantes.
R.V.