Rock vaudou
C’est un album qui crie encore comme au premier jour. Presque quarante ans plus tard le groupe, Gun Club, et l’album, Fire of Love, demeurent des mystères.
C’était l’été 2000, et pour la première fois de ma vie j’étais exposé à l’un des boucans les plus fascinants à être né de l’explosion punk. C’était l’été 2000 et j’écoutai pour la première fois The Gun Club et leur premier album, Fire of Love. Le choc. L’amour instantané. La certitude d’être tombé sur une mine d’or. Si The Gun Club avait été le diable je lui aurais aussitôt vendu, non donné mon âme. Et tant de questions restées jusqu’à aujourd’hui sans réponses. D’où vient cette musique ? Pourquoi est-elle si forte alors qu’on n’est très loin d’avoir à faire à des musiciens virtuoses ? Qu’est-ce qui cause ce curieux malaise exalté ?…
The Gun Club était le groupe de Jeffrey Lee Pierce (1958-1996) il en fut l’âme troublée et instable. Ce groupe c’était la vision de ce Californien aux origines métissés président du fan club de Blondie, amateur de free jazz comme de reggae et de blues. C’est lui qui eut cette idée un peu folle de prendre le blues de l’entre-deux guerres et de le propulser dans la furie du punk de L.A. en ce début d’année 80. Et il fallait avoir un esprit suicidaire pour penser qu’en ces temps de new wave (terme générique pour tous les groupes formés à la fin des années 70 et au début des années 80) le temps était venu pour affirmer que le blues avait encore de l’avenir.
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L’illustration la plus concrète de cette vision ce sont les deux reprises Preaching The Blues, un air composé par Robert Johnson, et Cold Drink of Water avec ces langueurs marécageuses. Deux reprises et deux véritables créatures de Frankenstein, monstre d’autant plus contrefaits qu’ils ringardisent d’un coup ce qu’a fini par devenir le blues. Ces reprises sont des réinterprétations qui s’ intègrent si bien qu’elle ne départ pas du reste à savoir une chanson enamourée écrite à l’intention de Poison Ivy la guitariste de The Cramps, un groupe cousin, une ouverture trépidante avec Sex Beat ou l’inquiétante Jack on Fire. Et partout ces giclées de slide guitar et des chansons tueuses, méchantes et sexy.
Les morceaux rapides sont autant de folles cavalcades, de virées nerveuses dans une nuit chaude et moite, les titres lents (Promise Me) sont autant de ballades morbides et nocturnes, comme les rituels impies d’une secte sans nom qui vénèrent des esprits antédiluviens aussi beaux que dérangeants et dangereux.
Jeffrey Lee Pierce et sa bande de soudards, citons-les ils l’ont mérité, Ward Dotson (guitare et slide guitare), Rob Ritter (guitare basse) et Terry Graham (batterie métronome) auxquels il faut ajouter le producteur Tito Larriva (The Plugz, Tito & Tarantula) ce Mexicain venu aux Etats-Unis sur les conseils de la femme de Marc Bolan (T. Rex), ne sont pas les zélateurs fervents d’une religion au bord de l’extinction mais des barbares venues revivifier un culte en y injectant une fougue oubliée. Fire of Love ce n’est pas un hommage servile à des figures du passé mais une invocation fiévreuse et habitée des Grands Anciens.
Fire of Love est une promenade dans un monde plein de fantômes, brutale et incantatoire. Un esprit Southern Gothic plane sur cet album comme sur le reste de la discographie d’un groupe qui ne fera pas école mais qui ne manque pas d’admirateurs a commencé par Bertrand Cantat, qui n’a pas qu’un peu été influencé par le chant possédé de Jeffrey Lee Pierce. Loin de toute nostalgie Fire of Love est peut-être encore meilleur aujourd’hui qu’il l’était à sa sortie en 1981. Presque quarante ans après non content d’être toujours aussi frais cet album est avec son blues naïf, comme on parle de peinture naïve, un antidote à un certain esprit blasé et revenu de tout qui nous guette parfois. Fire of Love est une frêle flamme de bougie vacillante dans une pièce noire, faible est sa lumière mais elle est un précieux réconfort dans les ténèbres.
R.V.