L’Elu est un technicien de surface
Hommage à la S.F. cinématographique des années 80, Future Man est une série qui marie action et comédie dans une atmosphère décontractée et irrévérencieuse
Future Man, visible sur OCS et Amazon Prime, raconte l’histoire rocambolesque et picaresque de Josh Futturman (Josh Hutcherson), Tiger (Eliza Coupe) et Wolf (Derek Wilson). C’est drôle, ne lésine pas sur l’action, c’est parfois ce qu’il faut de vachard et méchant. Créée par Kyle Hunter, Howard Overman et Ariel Shaffir la série compte parmi ces producteurs le, semble‑t‑il, difficilement contournable Seth Rogen (voir les séries, chroniquées ailleurs sur ce site, Preacher et The Boys) qui joue même le rôle de Susan dans les saisons 2 (le dernier épisode et 3. Cette troisième saison est aussi la dernière et même si c’est un peu triste au moins Future Man n’aura pas eu le temps de devenir vraiment mauvais.
Ce qui fait l’efficacité et une partie de l’attrait de cette série c’est sa simplicité, l’intrigue se focalise sur ses trois protagonistes principaux, sa structure calquée sur le modèle du feuilleton, on raconte une histoire continue découpée en épisodes qui se suivent, et enfin son rythme, des épisodes entre vingt et trente minutes qui évitent le gras des intrigues secondaires et des circonvolutions scénaristiques inutiles. La folie de Futur Man est d’autant plus alléchante qu’elle se déploie, comme Ash vs Evil Dead ou The Tick qui sont aussi des programmes entre comédie et action, au cadre serré et strict. |
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Au début de la série Josh n’est pas un modèle de réussite sociale, il vit chez ses parents, est technicien de surface dans un laboratoire de recherche médical et a développé une singulière obsession pour un jeu vidéo, Biotic War, dont le dernier niveau est particulièrement difficile. Là où tant d’autres ont lâché l’affaire lui persiste, cette détermination est un des traits de caractère de ce personnage même si elle n’est pas toujours dirigée avec la plus grande efficacité. Toute l’ambition du jeune homme est tournée vers cette tâche peu rémunératrice en capital financier, symbolique et culturel. Battre le niveau 83 est sa grande motivation. Il n’est pas dupe pour autant de l’aspect dérivatif et peu productif de sa quête. Après un temps indéterminé (des années ?) d’échec, et autant de morts virtuels particulièrement brutales, Josh atteint son but et bat enfin Biotic War.
C’est alors que débarquent dans sa vie, plus exactement dans sa chambre alors que Josh est en pleine branlette post‑victoire, Tiger et Wolf, les personnages du jeu qu’il vient d’achever car Biotic War est un programme d’entraînement mis au point dans le futur par la résistance pour découvrir l’Elu qui permettra, en assassinant le docteur Elias Kronish (Keith David), de remporter la victoire totale sur les biotics, le but ultime de résistants au bord de la destruction. Tiger et Wolf espèrent en modifiant le passé changer pour le mieux leur présent. Leur déception est très grande quand ils rencontrent enfin celui qui doit les aider à remplir leur mission. La première saison braconne clairement du côté de Terminator, il y a même un épisode d’infiltration dans la maison de James Cameron, en l’absence du réalisateur, et de Retour vers le futur, Josh tape lui aussi dans l’œil de sa mère et… On vous laisse la surprise.
Ce résumé du premier épisode donne le ton de la série pour les trois saisons à venir : de la comédie qui tâche, de la parodie. En plus des références précédemment cités ajoutons les films post-apocalyptiques à la Mad Max, Easy Rider le temps d’un voyage dans les années 60 et d’une virée en moto, Predator Moby Dick et Le Dernier des Mohicans le temps d’une chasse à l’ourse ou 2001 l’odyssée de l’espace… L’humour de Future Man joue avec le politiquement correcte (quand Josh essaie d’expliquer à Wolf qu’il ne serait pas approprié, dans l’Amérique de 1969 de se grimer en noir quand on est blanc), les blagues pipi-caca et une bonne dose de noirceur. Enfin la dynamique particulière des trois protagonistes principaux, Tiger en clown blanc et ses deux vis‑à‑vis en auguste, est souvent réjouissante d’autant que ces personnages se découvrent à mesure que les épisodes passent et que les saisons avancent des aspirations pas toujours compatibles. ses sbires.
C’est qu’il y a un monde entre le médiocre mais très volontaire et positif Josh et les deux résistants venus du futur qui sont des machines à tuer et qui ont vu périr tous les leurs dans la réalisation de leur projet désespéré. Tiger et Wolf sont les produits d’une guerre cruelle, ils ont connu une existence précaire et dangereuse toute entière tournée vers leur lutte sans merci contre les biotics (des ennemis qui ne sont peut-être pas aussi malfaisants que ça…). Josh lui est le produit du confort de la société occidentale, il aime l’idée d’être un rebelle (même si ces connaissances de contre quoi il se bat sont bien maigres), il apprécie encore d’avantage l’idée d’être l’Elu (Josh est le Néo de cette série mais lui n’apprendra jamais, grâce à un artifice scénaristique, le kung-fu) et il est pétri de cet humanisme contemporain qui le place en opposition face à ces collègues plus enclins à opter pour des méthodes aussi radicales qu’expéditives, ils sont là pour tuer Kronish, ce que tentera d’empêcher Josh qui embarquera Tiger et Wolf dans des aventures dans les années 60 et 80 pour altérer la vie du scientifique et l’empêcher de faire cette découverte qui entraînera la venue des biotics.
Wolf, au côté de Gabe (Ed Begley Jr.), le père de Josh, se découvre une passion pour la cuisine qu’il ira assouvir à la charnière des années 80 et 90, puis il tentera de se fondre dans la famille élargie d’un double temporel, Torque, enfin il peinera à ne pas laisser sa trace dans l’histoire au cours d’une troisième saison en cavale spatio-temporelle. Wolf a un tempérament qui le porte vers les autres ce qui n’est pas le cas de Tiger, plus réservée, moins exubérante et plus rigide. Ils sont l’une et l’autre les soldats manipulés depuis l’enfance pour servir une cause. Wolf est le subalterne de Tiger ce qui n’est pas sans suscité quelques frustrations. Cette insatisfaction le pousse plus vite qu’elle à se chercher une identité propre et plus gratifiante. Cette recherche le conduira dans des aventures extrêmes, loufoques et potaches, sa consommation de coke par le cul, chef des stars qui kidnappent le tout Hollywood pour leur faire découvrir des récentes différentes… l’humour de Future Man n’est pas toujours des plus fins, vous serez prévenus. Le parcours de Tiger est plus personnel, ces aventures plus humaines l’amèneront à faire la paix avec son identité, elle a un lourd secret, et aussi à se découvrir une certaine humanité.
La dynamique du trio de personnages principaux joue beaucoup dans l’intérêt et le charme de la série ainsi que cette furieuse envie de voir ce qui va leur arriver dans l’épisode suivant. On ne perd pas de vue ces trois protagonistes principaux et c’est en partie le fruit de la structure rigide de la série.
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Les créateurs de séries surtout s’ils travaillent pour des entreprises comme HBO ou des plateformes comme Hulu et évidemment Netflix peuvent jouir d’une certaine liberté créatrice ce qui aboutit parfois à des projets boursoufflés parfumer à l’égo. Les symptômes en sont des épisodes d’une heure ou plus, une foule de personnages, tant que la notion de protagoniste principal et de héros ne s’applique plus vraiment, et le besoin de faire rentrer le plus inélégamment possible de hautes considérations philosophiques ou politiques dans une histoire qui n’en demande pas temps. Future Man n’est pas de ces produits qui crient très fort qu’ils sont de grandes œuvres d’art. Ce qui ne l’empêche pas de traiter de sujets brûlants comme le racisme, la liberté et le libre-arbitre (quelle production américaine ne parle pas de libre arbitre ?), les alternatives à la famille nucléaire occidentale et on en passe.
Ce qui prémunit cette série de certaines dérives fâcheuses c’est un format particulier d’épisodes qui n’excède pas la demi‑heure. Les épisodes de Futur Man durent aussi longtemps que ceux d’une sitcom là où les séries policières, dramatiques, d’actions, bref tous le reste durent une quarantaine de minutes soit dix à quinze minutes de plus par épisodes, ce qui n’est pas rien surtout si on alonge ça sur une saison. Ce temps en moins les auteurs de Future Man n’ont pas à l’occuper avec des intrigues et des personnages secondaires. Ils peuvent en revanche consacrer tous leur temps à développer Tiger, Wolf et Josh.
Autre bénéfice de ce cadre c’est qu’il évite qu’une série qui part facilement dans le n’importe quoi ne s’égaie trop enivrée par ses propres audaces et les possibilités presque infini de son argument avec ses voyages dans le temps. Il y a une obligation à la concision qui évite que Futur Man ne devienne trop bavarde. Il n’y a pas de place pour les boursouflures. La contrainte pour toute création n’a pas que de mauvais côté et dans ce cas-là ces épisodes qui sont courts, mais dont on affirmera qu’ils sont à la bonne taille, qu’ils ont la durée adéquate, donnent du rythme à une histoire qui laisse guère le temps de souffler.
Il y a cet épisode dans la première saison qui est en quasi temps réel avec une minuterie et un personnage à interroger avant l’explosion d’une bombe. Il n’y a pas de gras et pourtant en quelques dialogues on en apprend plus sur le futur que cherchent à empêcher Tiger et Wolf d’advenir, Josh choisit en cette occasion son camp dans la guerre alors qu’il était jusque-là un suiveur, Wolf découvre les plaisirs de la fellation et Tiger menace de tuer un bébé, la liste n’est pas exhaustive. Il y a des épisodes deux à trois fois plus longs dans l’horrible série Watchmen où il se passe dix fois moins de choses. Et que dire du dernier épisode de la saison deux qui conclue en beauté une histoire pour mieux ouvrir sur la troisième et dernière saison qui promet une réinvention assez conséquente de la série.
Entre comédie et action Futur Man trace sa route avec entrain alors que les idées s’enchainent sans vrai temps mort. Cette légèreté, qui n’est pas de la superficialité, est la bienvenue. C’est peut-être son apparente modestie qui empêche Futur Man d’être saluée par la critique qui lui préfère des séries avec de grandes choses à dire sur les thèmes à la mode (The Handmaid’s Tale, l’embarrassant Westworld – qui aurait dû s’en tenir à une seule saison). Pourtant au milieu de la production actuelle il est bon d’avoir des petites séries comme celle-là. Chaque saison se démarque de la précédente, recréant une atmosphère, un monde singulier. Quant à Tiger, Wolf et Josh ils ont le droit à un vrai voyage qui leur permet de grandir et d’évoluer. Tiger et Wolf trouvent l’une et l’autre une sortie à la guerre qui les a marqués depuis l’enfance tandis que Josh quitte le cocon familial, ce nid trop douillet.
R.V.