Quand la cavalerie
n’arrive pas trop tard
Comment dénoncé la guerre et ses horreurs sans s’abîmer dans le prêchi-prêcha ou trop esthétisé ce que l’on cherche a dénoncé ?
Titre original : Blue Soldier
Réalisation : Ralph Nelson Scénario : John Gay, adapté du roman de Theodore V. Olsen Distribution :
Année : 1970 |
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Synopsis : Une colonne de cavaliers escorte l’officier payeur avec l’argent de la solde ainsi qu’une jeune femme Cathy Maribel « Cresta » Lee qui a échappé aux Cheyennes et est en chemin pour retrouver son promis. Rien de bien palpitant jusqu’à une attaque des Cheyennes. Seuls échappent à l’embuscade Cresta, qui s’avère une jeune femme pleine de ressource, et le soldat Honus Gent, plus par chance que par ses prouesses guerrières.
Trois éléments ont tué le western classique, l’inévitable passage du temps, ce qui est à la mode cesse un jour de l’être, comme l’écrivit le poète, aux plus belles choses le temps se plait à faire un affront. Les profonds changements sociaux qui secouèrent le pays au cours des années 60, la contre-culture ou le féminisme et la lutte pour les droits civiques, qui impliquaient l’apparition d’autres héros que ceux fournis jusque-là par le western made in Hollywood, ce qui fut l’une des forces du western italien, et la guerre du Viet Nam. C’est ce dernier élément qui est sans doute la plus important pour comprendre un film comme Soldat Bleu signé par Ralph Nelson (son deuxième western après La bataille de La vallée du Diable) avec dans les rôles principaux Candice Bergen, Cathy Maribel « Cresta » Lee, une femme entre deux mondes, et Peter Strauss dans le rôle d’Honus un piètre soldat de la milice du Colorado qui apprendra durement les réalités des guerres indiennes. Honus est un soldat idéaliste qui découvre que la guerre qu’il mène et qu’il soutient n’est pas aussi juste, justifiée et justifiable qu’il le croyait. Cette découverte fait écho à ces soldats partis défendre la liberté en Asie du Sud-Est et qui en sont revenus avec la conviction qu’ils n’avaient rien à faire au Viet Nam.
Les difficultés de l’armée des Etats-Unis au Viet Nam se retrouvent dans Soldat Bleu à peine déformée. Elle est vaincue au début du film dans une embuscade, défaite par un ennemi sous-estimé et dont les motivations ne sont pas connues, puis elle obtient une victoire contre une poignée de guerriers qui n’est parachevée que par le massacre de femmes et d’enfants pour satisfaire les penchants sanguinaires du colonel Iverson. Ce genre de massacres de civiles commis dans l’Ouest voyaient leur mémoire ressurgir par le prisme de massacres plus actuels perpétrés au Viet Nam.
Le féminisme et ce que l’on nomme aujourd’hui la question du genre ne sont pas pour autant absents du film. Les rôles traditionnelles de l’homme et de la femme sont régulièrement subvertis. Cresta n’est pas une demoiselle en détresse à secourir, c’est une femme forte, énergique et déterminée qui cherche à tracer sa voie en dépit des vicissitudes d’une vie qu’on devine difficile. Candice Bergen interprète une femme dure et réaliste, qualités viriles. Elle est volontiers grossière et elle rote. Elle est dure et sans illusion. « Tu te sers enfin de ta tête soldat bleu ! » dit-elle mi-amusée mi-agacée à son compagnon. En regard Honus Gent (ce prénom, vraiment…) est un jeune homme idéaliste, un soldat sensible qui récite un poème à la mémoire de ses frères d’armes tombés dans l’embuscade cheyenne. Gent n’est pas un bon soldat et encore moins une figure guerrière, une machine à tuer. Il ne tue qu’un homme de tout le film et il en est le premier surpris. Pire pour l’image du guerrier virile, c’est lui qui doit être sauvé. Il a plus besoin de Cresta qu’il n’a besoin de lui. Nous sommes très loin de la figure héroïque et masculine que pouvait incarner un John Wayne.
Le long métrage de Tom Gries est de ces films qui dans la veine de ce qu’on appelle le western crépusculaire introduisit dans le genre le sang. Longtemps dans le western la Soldat Bleu n’est pas pour autant un tract mis en image, c’est un long métrage qui prend le temps de donner de l’épaisseur à son couple vedette. Cresta et Honus ne sont pas juste des personnages portemanteaux d’une idéologie ou des alibis pour faire passer un message. C’est un film qui est par moment drôle et qui multiplie les péripéties pour donner de la chaire à son récit. Cet aspect plus léger opère en contraste avec l’extrême brutalité et la violence assez inouïe, pour l’époque et encore aujourd’hui, dans la séquence de tuerie des indiens. Cette partie qui emprunte au film gore certains de ses aspects les moins outranciers demeure à ce jour ce que le cinéma des Etats-Unis a produit de plus âpres en dehors du registre de l’horreur. L’effet de choc et de sidération joue à plein devant ce déchainement de ce qu’il y a de pire dans l’être humain. On vous passe les détails des exactions portées à l’écran mais difficile de rester indemne.
En mettant à mal l’héroïsme convenu du genre, Soldat Bleu apparaît comme l’une des pépites de ce moment crépusculaire du western aux Etats-Unis quand il ne s’agit plus d’imprimer la légende mais de consigner une narration plus historique. Encore qu’on passe peut-être d’une légende dorée partiellement fausse à une légende noire pas complètement exacte. Quoiqu’il en soit, avec Soldat Bleu on aurait préféré que la cavalerie soit en retard. La violence n’est ici pas esthétisée comme dans La horde sauvage, pour Peckimpah la violence est intrinsèque à l’humanité, dans Soldat Bleu elle est un scandale, une part sombre qu’on ne saurait montrer autrement que dans son horreur.
R.V.