Captain Kidd
Johnny Kidd & The Pirate c’est hélas un des secrets les mieux gardés du rock’n’roll anglais, un oubli impardonnable
Parlons un peu du rock’n’roll anglais, pas du rock anglais, pas des Rolling Stones et de ces valeureux sujets britanniques qui participèrent à la British Invasion. Non pas de ça, mais de ceux qui les précédèrent, de ce qu’il y avait avant. Avant ? Oui avant, à la charnière des années 50 et 60. Vous ne pensiez pas que The Beatles, The Kinks ou The Who étaient sortis de nul part. Le rock’n’roll partit des Etats-Unis vers 1955 se répandit comme une traînée de poudre dans le monde et avant la fin de la décennie il était devenu LA musique de la jeunesse sur tous les continents, ou presque Guerre froide oblige. En Angleterre le rock’n’roll ce fut d’abord Tommy Steele et Lonnie Donegan, les pionniers dès 1956, puis très vite Billy Fury, Cliff Richard, accompagné par The Shadows, brièvement Vince Taylor, le chouchou des Français, et ce Johnny Kidd chanté par Bashung dans Gaby Oh Gaby.
Tout aurait donc pu commencer, pour moi, par cette chanson mais tel ne fut pas le cas. Les paroles des chansons de Bashung ont souvent un coté sibyllin, elles ont cette saveur hermétique mais follement évocatrice, cette rouquine carmélite, qu’on ne comprend pas toujours du premier coup et franchement quand on n’a pas dix ans ce nom « Johnny Kidd » ressemble à un nom fabriqué au hasard et puis un jour on découvre (mais pour beaucoup de gens cette découverte n’advient jamais) que ce nom est celui d’un rocker britannique au look impayable.
Johnny Kidd est né Frederick Heath le 23 décembre 1935 à Wilesden, une ville des environs de Londres dans le Middlesex. Il est de ces chanteurs britanniques qui amenèrent au rock’n’roll un surcroit de théâtralité. Laissant l’horreur à son compatriote Screaming Lord Sutch, émule insulaire de l’excellentissime Screaming Jay Hawkins, Johnny Kidd se rabattit sur ce qui, quelques siècles plutôt, avait été une spécialité des britanniques, la piraterie, des pirates cinématographiques revus par le prisme hollywoodien, on pense à ces films avec Errol Flynn (Captain Blood, A l’abordage, Le vagabond des mers…). Le pseudonyme est un clin d’œil au Captain Kidd. Le chanteur portait donc un cache-œil du plus bel effet qui lui donnait un look bien différent de la concurrence. Surtout il resta fidèle au rock même lorsque celui-ci était passé de mode. En cela Johnny Kidd fut au Royaume-Uni ce que Vince Taylor fut en France, le dernier des Mohicans, celui qui garde le fort quand tous les autres ont déserté.
Bien sûr cela impliqua quelques évolutions dans le style, en ces temps où tout allait très vite, du moins en musique, on voit apparaître dans le courant des années 60 de l’orgue dans la musique des pirates. Le rhythm’n’blues se fait plus présent mais au font il est là encore question de mélanger les racines blanches et noires. Your Cheatin’ Heart de Hank Williams (1923-1953) est en 1964 passé à la moulinette rhythm’n’blues comme pour montrer aux nouveaux venus (Them, Animals, Rolling Stones…) que le vieux boucanier n’avait pas peur d’aller braconner sur leur terrain de chasse. Ce n’est pas qu’une adaptation à l’air du temps mais le reflet du goût du chanteur pour la race music comme on l’appelait alors. Un goût qui le pousse à interpréter I Just Wanna Make Love to You de Willie Dixon, l’homme qui est presque à lui seul le Chicago blues, ou à reprendre Bo Diddley ou cette chanson, Dr. Feelgood qui inspira le nom d’un groupe qui fut le fier héraut du pub rock dans les années 70.
Johnny Kidd and The Pirates étaient un équipage qui malgré les avanies et les changements de personnels et bien qu’il fallût parfois savoir louvoyer a enregistré de bien belles pages dans l’histoire du rock’n’roll britannique et eut finalement une longue influence qui survécut au trépas du chanteur dans un accident de la route. Un fléau qui avait aussi emporté Eddie Cochran. Pour Johnny Kidd la mort vint le chercher le vendredi 7 octobre 1966, à 31 ans, dans le Lancashire, la collision de deux voitures fut fatale au chanteur. On ne saura jamais ce qu’il aurait fait avec la venue du psychédélisme et il n’aura pas le temps de connaitre le revival de la fin des années 60 et du début des années 70.
Même pas dix ans de carrière mais le groupe et son chanteur eurent le temps de graver au moins un classique du rock’n’roll, Shakin’ All Over, repris par les Who, Iggy Pop, Suzy Quatro… Et lorsque Lemmy Kilmister invite les filles de Girlschool à rejoindre Motörhead pour le maxi St. Valentine’s Day Massacre vers qui se tourne le bassiste et chanteur quand il faut trouver une chanson à reprendre en commun ? Vers Johnny Kidd et ses pirates et l’incandescent Please Don’t Touch. Lemmy n’a jamais caché son amour pour le rock’n’roll (il vénère Little Richards) et son groupe du moins dans son incarnation devenue canonique, avec Phil « Philthy Animal » Taylor à la batterie et « Fast » Eddie Clarke à la guitare, est assez largement une relecture amphétaminée du rock’n’roll originel. Dix ans après la mort de leur chanteur, en 1976, alors que le punk déferlait sur un Royaume-Uni qui n’en demandait pas temps, les Pirates dans leur formation la plus connue soit avec le guitariste Mick Green, le bassiste Johnny Spence et le batteur Frank Farley se réunissait. Cette reformation impulsée par Wilko Johnson, le guitariste de Dr. Feelgood, vit les vieux briscards partager l’affiche avec des groupes comme XTC, The Stranglers, The Only Ones, X-Ray Spex ou The Saints. Une influence musicale mais aussi esthétique, gageons que sans ce bon Johnny, Adam Ant n’aurait pas eu le même look au début des années 80.
Alors oui Johnny Kidd est bien un artiste qui mérite la redécouverte, un pionner du rock’n’roll en Angleterre qui sut évoluer et a servi à définir le rock de nos voisins d’Outre-Manche rien que ça.
R.V.