Sacré Graal
John Boorman, le réalisateur de Délivrance, signait en 1981 un film arthurien épique qui n’a pas d’équivalent au cinéma
Réalisation : John Boorman
Scénario : d'après La morte d'Arthur de Thomas Malory, Rospo Pallenberg (adaptation), Rospo Pallenberg & John Boorman...(scénario) Distribution :
Année : 1981 Synopsis : Dans un pays divisé et en guerre le seul espoir réside dans la venu d'un roi. C'est à cet accomplissement que travaille sans relâche Merlin. Arthur le fils d'Uther Pendragon sera-t-il ce roi qui ramènera la paix et la prospérité ?
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Autant ne pas faire de mystère l’auteur de ces lignes aime beaucoup mais vraiment beaucoup Excalibur, c’est de très loin la transposition sur grand écran de l’univers arthurien qu’il préfère. Et rien n’indique que cette opinion changera tant les tentatives récentes de faire revivre le roi Arthur et les chevaliers de la Table ronde des deux dernières décennies, si elles arrivent à être sympathiques, sont rarement mémorables. Ceci posé venons-en à notre sujet.
Le film de John Boorman s’ouvre sur bataille nocturne qui nous propulse dans un monde brutal et sombre. Excalibur est un long métrage violent qui met en spectacle la cruauté d’un monde livré à la violence et n’a pas peur de faire couler le sang artificiel pour en barbouillé armures et acteurs. Excalibur n’omet pas non plus certains des passages les plus dérangeants de la geste arthurienne que ce soit l’inceste (involontaire tout de même) du bon roi avec sa demi-sœur Morgane, jouée par nulle autre qu’Helen Mirren, ou le viol d’Igraine (Katrine Boorman, la fille du réalisateur) l’épouse du duc de Cornouailles (Corin Regrave, La charge de la brigade légère). La quête du Graal, ce qu’elle a de merveilleux et de folie, n’est pas non plus éludée. John Boorman ne cherche pas à priver ces légendes venues du Moyen-Âge de ce qu’elles ont de magique et aussi d’étranger à notre société.
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Pourtant le film ne se complet pas dans cette obscurité il joue de contrastes. L’évolution des armures des guerriers est éclairante en la matière. On commence le film à l’époque d’Uther Pendragon (Gabriel Byrne), un temps de guerres et de trouble, les armures sont noires les hommes qui les portes ne sont pas encore des chevaliers mais des brutes, des soudards. Puis Arthur (Nigel Terry) devient le roi, la paix et la prospérité reviennent, les armures se font brillantes, étincelantes, les guerriers se muent en chevaliers de la Table ronde enfin les armures sont sales et rouillées. Ce n’est pas un retour à la noirceur du début du film mais l’image de la corruption qui gangrène le royaume et ruine la paix. Au début du film il n’y avait pas de roi, cette fois il y en a un mais il est défaillant, la terre n’est plus fertile et partout la misère règne.
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L’œuvre de Boorman se place néanmoins sous l’égide de l’espoir, le mal peut être vaincu, la paix et la prospérité peuvent revenir. D’ailleurs le film n’est pas manichéen, ce n’est pas un grand Mal qu’il faut abattre mais des petits maux qui s’accumulent jusqu’à la destruction finale et la grande bataille qui oppose Arthur à Mordred (Robert Addie). Le personnage de Morgane est un exemple de ce mal diffus, elle n’est pas mauvaise en soi. Elle est l’antagoniste principale d’Arthur mais elle a quelques raisons de lui en vouloir après tout elle a vu le roi Uther abusé de sa mère. Merlin (Nicol Williamson) aussi échappe au catégorie de bien et de mal. Il en sait long, mais il ne sait pas tout et quand il sait on ne l’écoute pas forcément.
La fluidité entre le bien et le mal mais aussi entre symbolique chrétienne et thèmes païens sont au cœur de la dynamique du récit. La symbolique chrétienne comme la croix qui foudroie le roi Arthur ne masque qu’imparfaitement le substrat païen. Ce roi sans qui la terre dépérie et perd sa fertilité est un motif emprunté aux récits médiévaux qui eux-mêmes étaient l’échos de croyances préchrétiennes.
L’autre force du film réside dans sa très belle direction artistique et son esthétique qui plutôt que de chercher du réalisme là où il n’y pas lieu embrasse pleinement des influences visuelles entre peinture préraphaélite (l’apparition de la Dame du Lac) et art nouveau notamment pour les costumes de ses dames. Ce dernier courant artistique de la charnière du XIXe et du XXe siècle est un contemporain des premiers écrits de fantasy moderne d’auteurs comme William Morris et Lord Dunsany.
Il est temps de conclure nous ne nous étendrons donc pas sur la bande originale qui cite Carl Off (Carmina Burana) et Wagner qui s’il ne nous donne pas ici envie d’envahir la Pologne nous jette dans la mêlée et nous enverrait presque quérir le Graal. Ces emprunts participent pleinement de cette immersion orchestrée par John Boorman dans un monde terrible et beau à la fois qu’il est bon d’aller visiter régulièrement.
R.V.