lA FILLE EN CUIR
Pourquoi perdre un temps précieux à évoquer la chanteuse et bassiste Suzi Quatro ? Parce que ce petit bout de femme est sans doute la première rockeuse moderne, rien que ça.
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Suzi Quatro est une réminiscence du rock des années 70, une figure aujourd'hui méconnue et même franchement oubliée des masses et pourtant on affirmera ici qu'elle marqua fortement les futures filles du punk et qu'elle rendit possible l'apparition de rockeuses décomplexées dans les années 80 et 90 ce bien avant les riot grrrl et sans leur militantisme politique. Avec Suzi Quatro on tient peut-être l'une des premières filles à faire du rock pour faire du rock, à prendre un privilège jusqu'ici réserver aux garçons nous y viendrons mais d'abord comment une personne aussi fondamentale (au sens le moins figuratif possible) peut-elle aujourd'hui être aussi oubliée ?
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Et bien il n'y a pas que de mauvaises raisons à ça. Oui il y a bien un peu de misogynie là-dedans, cette misogynie qui fait que Poison Ivy (The Cramps) est rarement tenue pour, au minimum, une bonne guitariste. Mais il y a surtout le fait que Suzi Quatro fut avant tout l'interprète du duo Nicky Chinn et Mike Chapman que ce furent ces deux hommes qui écrivirent ses plus grands succès (Can The Can, 48 Crash...) or il y a une loi d'airain dans le rock, une loi qu'avait très bien comprise Andrew Loog Oldham quand il obligea Mick Jagger et Keith Richards à écrire leurs propres morceaux, pour durer il faut avoir son propre répertoire. Plus précisément encore écrire ses paroles et/ou composer sa musique donne une respectabilité, une crédibilité rock que n'a pas le seul interprète. Parce que les Beatles et parce que Bob Dylan, la respectabilité dans le rock est venue par la capacité à se forger ce répertoire de chansons qui survit aux affronts du temps. Suzi Quatro en dépit de ses qualités propres de musicienne et de chanteuse n'aura à ce titre jamais la respectabilité ne serait-ce que d'une fort peu rock'n'roll Joni Mitchell.
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L'autre aspect en défaveur de la notoriété actuelle de Suzi Quatro, plus de quarante ans après son quart d'heure de gloire, est qu'elle s'illustra dans un genre, le Glam Rock, qui à l'exception de David Bowie, qui quitta très vite le bateau et sut faire avec maestria autre chose, ou de Roxy Music, qui était un groupe atypique et qui connut le succès commercial plus tard dans les années 80, est souvent vu comme un genre mineur, infantile et superficiel pour tout dire régressif et bébête. Alors que David Bowie se construisait une image d'artiste Suzi Quatro, elle, n'a jamais chercher à être autre chose qu'une rockeuse, ce qui n'est pas suffisant pour être honorée dans les musées d'art moderne.
Le Glam Rock fut au début des années 70 une réponse aussi bien au Rock progressif, à sa quête du chef-d'œuvre et à ses prétentions artistiques, qu'au Hard Rock et au Heavy Metal genres viriles qui négligeaient souvent les joies simples du 45 tours. Le Glam Rock de Suzi Quatro est rentre-dedans et sans fioritures. Il tire sa force de l'énergie du Hard Rock mais dans une forme simplifiée, plus concise en fait, qui donne beaucoup de dynamisme aux chansons. Les rythmes des morceaux sont rock'n'roll, rapides et martelés avec l'entêtement d'un marteau pilon. Le tout à quelque chose de rigide et d'accrocheur, d'agressif et de séducteur. Les refrains entonnés en chœur collent assez bien au goût anglais et sont pour beaucoup dans l'aspect séduisant des morceaux qui ne risquent pas de valoir un prix Nobel de littérature à leurs auteurs. Un morceau comme Can The Can, le premier succès de Suzi Quatro dans les charts d'outre-Manche, sonne comme une première mouture assez frustre des morceaux d'Adam Ant le pirate/indien qui a fort distrait la musique anglaise du début des années 80. La voix de Suzi Quatro est distante, elle est comme une bouée lancée dans un océan démonter. Elle ne cherche pas a sonné sexy ou particulièrement féminine, comprendre par-là fragile ou lascive. C'est aussi souvent une voix hurlée qui doit beaucoup au Hard Rock de l'époque mais sans les envolées dans les aiguës.
Pour le look Suzi Quatro ne cherchait pas à faire dans le sexy et l'étalement de chaires fraiches. L'effet recherché était celui d'une silhouette androgyne bien dans l'air du temps et les canons du Glam Rock. On dira que si les gars du Glam jouaient les efféminés, Suzi en miroir se devait d'être la plus macho du courant. Là où ses pairs masculins se déguisaient en drag-queen avec maquillage, paillette, et on en passe elle était vêtue tout en cuir noir, mettait littéralement les gars du groupe à ses pieds pour les photos et prenait des pauses de mauvais garçon. Celle qui fut la seule figure féminine de ce genre musicale qui aimait tant jouer sur ce qui n'était pas encore la question du genre offrit le temps de quelques courtes années une façon d'être une fille dans le rock qui n'avait pas à être mignonne. Elle était là pour jouer pas pour être jolie à regarder. C'est sans doute dans cette attitude que se niche la modernité de Suzi Quatro.
Joan Jett ne cache pas que la bassiste de Détroit fut pour elle un vrai model. La postérité de Suzi Quatro est là, elle a montré qu'une (jeune) femme pouvait avoir du succès sans chercher à coller aux canons de beautés de l'époque sans pour autant avoir la fin tragique de Janis Joplin. La Texane est évidemment une figure centrale mais on comprendra sans peine que sa mort prématurée ne fasse pas rêver une apprentie rockeuse. Tout le monde n'a pas des envies d'être une héroïne tragique même si cela fait vendre et permet d'entrer dans la légende. D'ailleurs Janis Joplin appartient à une toute autre génération de fille rock. Joplin et Grace Slick (chanteuse de Jefferson Airplane) comme Cass Elliot et Michelle Phillips (The Mamas & the Papas) étaient des représentantes d'une génération qui si elle n'avait plus à se soucier de savoir si ce qu'elles chantaient risquait de les conduire en enfer comme c'était le cas des pionnières dans les années 50, Wanda Jackson passa ainsi du statut de rockeuse volcanique (Fujiyama Mama) à celui de chanteuse country et gospel, ces chanteuses avaient leur imaginaire rempli de blues, de jazz et de folk et pas seulement voire pas du tout de rock. Suzi Quatro est une ado des années 60 qui reprend les Rolling Stones, I Wanna Be Your Man le morceau écrit par Lennon et McCartney ou Johnny Kidd (l'un des rares vrais classiques du rock'n'roll anglais Shaking All Over), pour elle le rock se suffit à lui-même.
C'est ce qui fait de madame Quatro l'une des premières rockeuses modernes, la grande sœur des Runaways, le groupe de la triplette Joan Jett, Lita Ford et Cherie Currie, dans un registre rock ou de Tina Weymotuh (bassiste de Talking Heads et du Tom Tom Club) et la mère de groupe comme les L7 ou les Lunachicks. En montrant que comme n'importe quel rockeur une rockeuse pouvait elle aussi se contenter de jouer du rock pour le seul plaisir de faire de la musique. Suzi Quatro a offert à des artistes féminines une façon d'aborder le rock sur laquelle personne n'est revenue ensuite même si cela reste difficile pour les femmes dans le petit monde du rock.
Suzi Quatro n'est pas morte jeune et n'a donc pas eu le plaisir douteux de faire un beau cadavre et c'est tant mieux même si elle n'aura en conséquence jamais l'aura de ces saint(e)s du rock membre du club des 27 et autres martyres de la cause mort prématurément pour la plus grande joie de ceux qui aiment les histoires tristes ou qui raffolent de ces images aussi romantiques que macabre.
R.V.