3 filles & 1 gars
secouent la BritPop
Bien oublié aujourd’hui le groupe Elastica et son premier album eut droit à son quart d’heure de gloire et devrait être tiré de l’oubli
Ça Les sables du temps ont recouvert le groupe Elastica et parmi les gens qui se souviennent, rares seront ceux qui chanteront les louanges de la formation. Et dire que ces Anglaises (trois filles et un gars) auraient pu être vraiment énormes, être ce genre de groupe qui marque une génération, car pendant un temps trop bref Elastica avait tout ou presque : un son entre rock bruitiste, années 90 obligent, punk mélodique et pop un peu crade, un répertoire qui ne craignait pas la confrontation avec le grunge agonisant mais toujours influant ou ce punk U.S. à la Green Day, avec Dookie en contemporain exact et façon cousin d’Amérique. Elastica connaissait ses classiques, un peu trop bien même et l’on parla de plagiat de Wire et des Stranglers. Le groupe de Justine Frischmann et Donna Matthews, les deux chanteuses et guitaristes secondées à la section rythmique par la bassiste Annie Holland et le batteur Justin Welch avait de bonnes chansons. Des chansons qui durent et perdurent. Le plus étrange c’est que ce qui a tué le groupe ce n’est pas une de ces histoires d’insuccès qui usent les nerfs des plus endurcis mais bien la fable déprimante d’un succès massif qui plante une formation sans doute trop fragile.
|
|
Car Elastica, l’album, fut un vrai succès au Royaume-Uni et aux Etats-Unis où il fut disque d’or a une époque où cela avait encore un sens et voulait dire qu’on avait vendu beaucoup mais vraiment beaucoup de CD. Dans leur pays d’origine l’album fit un tel carton qu’il se propulsa en un temps record en tête des classements des ventes déclassant dans ce registre Oasis et Definitely Maybe, sorti l’année précédente et qui tenait jusque‑là la palme de la plus rapide progression vers le sommet du top du Royaume-Uni. Loin du phénomène éphémère l’album resta longtemps un bon vendeur mais le groupe ne fut jamais en mesure de capitaliser sur ce premier coup d’éclat et lorsqu’en 2000 est paru son second effort il était trop tard. Elastica ne survécut pas longtemps à la mise sur le marché de The Menace. Donna Matthews avait quitté le navire depuis un moment déjà et les temps avaient sans doute changé. Le rock entrait dans sa phase finale et ce n’est pas l’éphémère vaguelette des Strokes et autres groupes en The… et son pendant Français des bébés rockeurs qui changerait la donne.
Ce qu’il reste d’Elastica, l’album toujours, c’est une quinzaine de titres moins déprimants que ceux de Dummy de Portishead mais pas bien joyeux quand même. Les années 90 ce sont musicalement construites en opposition à l’hédonisme contraint et surjoué des années 80. Un hédonisme qui cachait parfois une certaine noirceur, le SIDA ne donnait en vrai pas envie de rire. La morosité musicale des années 90 cachait elle parfois une certaine légèreté, la guerre froide s’était bien finie si vous viviez à l’ouest du rideau de fer, on disait adieux à l’apocalypse nucléaire et même les horribles Maggie Thatcher ou Ronald Reagan entraient dans l’histoire et c’était au passé qu’on commençait à parler d’eux. C’était il y a vingt-cinq ans et les sociaux-démocrates avaient leur revanche en Europe. Il y avait tout un tas de personnes raisonnables pour penser que la troisième voie de Blair ou la social-démocratie à la Schroeder avait de l’avenir. Comment cela aurait-il pu mal tourné ?
Côté chanson il y a ce « 2:1 » qui je crois me souvenir eut ce bizarre honneur de servir pour une pub. N’était-ce pas pour une voiture ? Le titre s’éloigne, malgré sa concision, des canons punks délaissant l’agression sonore pour une balade qui fait la part belle aux voix des chanteuses. « Indian Song » est un moment que prend le groupe pour s’essayer à autre chose, ici comme l’indique le titre l’inspiration vint d’Inde. Les tablas et ce petit harmonium à soufflet si caractéristique des musiques du nord du sous-continent sont convoqués. Ce n’est pas une nouveauté pour un groupe britannique mais le groupe se tient à l’écart du psychédélisme des années 60 et signe un morceau si différent du reste qu’il fait une césure, il est le point médian de l’album, il y a un avant et un après. Ce ne fut pas pour moi un coup de foudre instantané. A l’adolescence je préférais et de beaucoup « Vaseline », pour sa musique, ces « la, la, la » à la Blondie, et pour toutes les connotations salace que je pouvais associer à un titre comme celui-là. « Annie » me fait fondre et « Blue » aussi. « S.O.F.T. » avec son ambiance sombre et lancinante, alliage rock et trip hop me met toujours dans un petit état second. Et il y a le tube du groupe ce « Stutter » qui aborde le délicat sujet de l’impuissance masculine, yep…
Et il y a ces vocaux plein de morgue mais qui parfois laisse transparaître un peu de fragilité. La musique d’Elastica n’était pas là pour être décorative. Ce sont les Spice Girls qui ont mi‑habiles, mi‑sincères fait leur ce slogan qui vaut ce que vaut un slogan, girl power. Mais au final, et ce n’est pas un drame ni une honte en soit, il s’agissait surtout de faire acheter des CD 2 titres à des adolescentes. Elastica apportait une voix féminine dans la britpop et son amusant combat de coqs entre Pulp et Oasis. Féminines mais pas forcément plaisantes les chansons d’Elastica avaient du mordant. Le féminisme pop n’a pas attendu Beyoncé.
|
|
Un quart de siècle s’est écoulé et le premier album des quatre d’Elastica est devenu non pas une capsule temporelle qui conserve la précieuse trace d’un temps révolu mais un enregistrement qui est notre contemporain. On se dit qu’il aurait presque pu être enregistré hier. Ou plus particulièrement à l’écoute de ces trente-huit minutes et sept secondes on se dit que cette musique est nécessaire, non pas pour délivrer un message politique sur la marche du monde ni un essai philosophique sur le bien et le mal, l’injuste et le juste ou les inégalités entre les femmes et les hommes mais pour se rappeler que les filles dans le rock ne sont pas des anomalies qu’elles ont toujours été là depuis les temps héroïques d’Elvis avec Janis Martin ou Wanda Jackson et que si nous les trouvons si rares c’est d’abord parce que nous sommes horriblement oublieuses et oublieux. C’est notre plus grand crime vis-à-vis des femmes dans le rock, notre oubli. Alors n’oublions pas Elastica. N’oublions pas non plus Lunachicks ni L7 ou la regrettée Kim Shattuck femme forte à la tête du groupe Muffs.
R.V.