Quand la femme oBJet
est en panne
On ne prétendra pas que Cherry 2000 est un chef-d’œuvre honteusement oublié, c’est vilain de mentir, mais c’est un film sympathique, une amusante (re)découverte
Réalisation : Steve De Jarnatt
Scénario : Lloyd Fonvielle (histoire), Michael Almereyda (scénario) Distribution :
Année : 1987 Synopsis : Sam Treadwell est un cadre à la vie bien rangée. Il vit en couple avec la femme de ses rêves, une ravissante Cherry 2000. Tout est pour le mieux jusqu’au soir fatidique de la panne irréparable de la dulcinée. Désespéré Sam se lance à la recherche d’une nouvelle Cherry 2000. Il sera aidé dans sa quête par une pisteuse E. Johnson. |
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Commençons par quelques informations factuelles. Cherry 2000 est un long métrage de science‑fiction qui voisine avec le post‑apocalyptique qui en cette année 1987 était encore à la mode, le troisième Mad Max (celui avec Tina Turner, l’ex de l’ombrageux Ike) en salle en 1985 pouvait laisser imaginer un avenir prometteur au genre. Réalisé par Steve de Jarnatt qui n’eut guère d’opportunité de briller sur grand écran (sa filmographie n’inclut qu’un autre long métrage Appel d’urgence) fit donc l’essentiel de sa carrière pour la télé à la réalisation de séries. Cherry 2000 n’est pas un chef-d’œuvre méconnu de la science-fiction états-unienne des années 80 mais c’est un film sympathique qui a même quelques fulgurances thématiques qui résonnent avec notre présent d’autant que ce film se passe en 2017, trente ans après sa sortie en salle.
Le film porte les stigmates de son époque à commencer par une mystérieuse guerre dont on ne saura rien mais qui évoque les frayeurs bien ancrées alors du possible réchauffement de la guerre froide. Si les premières minutes du film convient les images d’Épinal de la S.F. optimiste et progressiste et les années 50 le ton change une première fois quand la Cherry 2000 (incarnée par Pamela Gidley Brigitte et sa sucette dans la série Caméléon) de Sam Treadwell (David Andrews) tombe en panne. Les Cherry 2000 étaient des robots féminins qui sont tombés en désuétude et épuisés. Avec cette panne on quitte le rétrofuturisme années 50 pour d’abord découvrir un monde dystopique puis plonger dans une odyssée post‑apocalyptique qui emprunte ses motifs, décors et costumes au Far West. Si la partie voyage dans les terres retournées à la sauvagerie du vieil Ouest constitue le gros du film la présentation, un peu trop succincte, de la société que Sam laisse derrière lui pour trouver une autre Cherry 2000 est importante pour comprendre les motivations du protagoniste.
Sam vit donc une gentille vie de couple avec un androïde, une femme au foyer un peu trop de rêve pour que cela ne mette mal à l’aise le public des années 2010 ou 2020 (puisque nous y sommes rentrés dans ces nouvelles années 20 qui ne seront pas folles) ; Sam vit avec une femme objet et on serait prêt à vouer ce gros misogyne aux gémonies du patriarcat si on ne nous présentait pas l’état déplorable des relations hommes-femmes dans la bonne ville d’Anaheim, cette commune californienne terre de Disney. Dans ce monde de pénurie, où l’on recycle non par écologisme mais parce qu’on n’a pas le choix, les relations sexuelles et sentimentales sont contractualisées. Pas de premier rendez-vous sans son avocat et la signature préalable d’un contrat qui fixe ce qui sera ou pas permis, de la science-fiction pure en 1987, une presque réalité en 2020 dans certaine partie du monde occidental. Dans ce monde la prostitution, l’échange contractuel et tarifé de faveurs sexuelles, sont la norme. Sam, qui est mal à l’aise avec ces pratiques, a été précédemment décrit, par le vendeur de robots, comme un romantique ce qui peut surprendre tant sa relation avec sa Cherry 2000 est source de malaise mais après avoir vu le Glu Glu Club on doit bien admettre que cette société marchande ne se prête guère à la romance.
Retrouver la romance perdue entre un homme et une femme dans un monde qui a jeté ça dans les poubelles de l’histoire est l’enjeu de Cherry 2000. Le film évite de se placer sur le terrain de la guerre des sexes, ce ne sont pas d’un côté les hommes et de l’autre les femmes, les deux sexes souffrent de cet état des choses et il n’y a dans cette société du contrat ni bon ni mauvais. Il aurait été bon de creuser un peu plus cette société avant de jeter Sam dans les terres sauvages. On en voit néanmoins assez pour comprendre ce qu’Anaheim a de peu engageant.
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Le film ne manque pas d’idées comme la séparation qu’il établit entre le « domaine de la loi », la société contractuelle dans laquelle vit Sam, et ces terres sauvages qui sont comme une version futuriste du vieil Ouest, comme si là-bas l’Amérique avait retrouvé son état naturel. La différence est visible à l’écran et se passe de commentaire. Le long métrage juxtapose deux société aussi dissemblables que possible. Cherry 2000 est avare de sa propre mythologie. Outre cette guerre qu’a faite Sam et qui est rapidement évoqué (ce qui ressemble à une manière pataude de justifier qu’il sait piloter un avion) on n’en saura pas non plus pourquoi les Etats-Unis ont manifestement cessé d’exister au point de donner naissance à des modes de vie si différents. Ce qui n’est pas grave en soit mais aurait aidé à faire exister d’avantage le personnage de Sam Treadwell qui est le héros de cette affaire et le monde dans lequel il évolue.
Cherry 2000 aurait été un film plus percutant si Sam avait été incarné par un acteur plus charismatique. Kevin Costner avait été pressenti pour tenir le rôle principal mais il dut décliner parce qu’il était accaparé par le tournage de Silverado. Il n’aurait pas sans doute complétement sauvé Cherry 2000 un acteur n’a pas se pouvoir mais campé par Costner Sam aurait pu être plus intéressant. Est-ce ce manque de charisme qui explique que c’est Melanie Griffith l’interprète d’E. Johnson qui apparaît sur les affiches du film. Elle est avec ses cheveux rouges et son rôle de guide celle qui parle pour le spectateur, la voix du bon sens. Ce personnage est de loin le personnage le plus attachant du couple qu’elle forme avec Sam. Elle est beaucoup plus iconique que son partenaire masculin, ses cheveux colorés captent l’attention et elle est se personnage féminin fort dont le Hollywood contemporain nous rabat les oreilles, sans toujours bien savoir ce que cela veut dire ou quoi en faire.
Réalisé pour un budget qui n’a pas l’air bien gros (sur le site IMDb il est estimé à 10 000 000$) Cherry 2000 ne doit pas être pris trop au sérieux. Il y a, ou alors le ratage est complet, une intention comique. Oui il y a de l’humour, un rien de satire dans cette histoire picaresque. Un humour qui saute aux yeux quand apparaît à l’écran Lester - Tim Thomerson, l’un de ces acteurs de second rôle dont Hollywood a le secret. Si David Andrews joue un Sam qui est un cadre un peu terne son adversaire en revanche, celui qui a en sa possession une Cherry 2000, incarné par Tim Thomerson cabotine et en fait des tonnes dans son rôle de Lester le despote qui règne sur le désert depuis ce qui ressemble à un camp de vacances. Un peu gourou, il a un côté meneur d’une secte, un peu coach, santé et bien-être, Lester perle avec des maximes de managers ou de conseiller en développement personnel. Il est aussi, et c’est embêtant pour Sam Treadwell et E. Johnson, un tueur maniaque.
Et c’est là où Cherry 2000 pêche le plus, le héros est coincé entre deux acteurs qui ne lui laisse pas beaucoup d’espace. Le problème est que pour ce genre d’histoire les péripéties du protagoniste principal comptent moins que son voyage intérieur, son évolution personnelle. Alors oui Sam évolue, il se révèle dans l’adversité et réalise qu’il cherchait l’amour au mauvais endroit mais le jeu d’acteur de David Andrews est trop monolithique pour que ces évolutions de sa personnalité ne transparaisse à l’écran. Pourtant l’acteur n’est pas le seul à blâmer et le réalisateur n’a pas fait complétement son boulot en dirigeant mal celui qui pourtant prêtait son jeu à son personnage principal. Il n’est pas impossible que Steve de Jarnatt est désiré ce jeu aux antipodes des héros de films d’action fleurant à des kilomètres à la ronde la testostérone. L’attention est louable mais entre la fadeur de Sam et la surpuissance virile du héros reaganien il y avait sans doute un juste milieu à trouver.
Comme on l’a dit en chapeau Cherry 2000 est un film sympathique et amusant, pas un chef-d’œuvre mais il a un petit charme désuet qui ravira les amateurs de films des années 80. Melanie Griffith est craquante, l’actrice a même une scène de simulation d’orgasme (elle imite la Cherry 2000 de Sam simulant l’orgasme d’une vraie femme) moins intense que celle de Meg Ryan dans quand Harry rencontre Sally mais qui ressemblerait presque à une esquisse de la scène culte du film de Rob Reiner. En plus c’est ce bon vieux et malheureusement défunt Basil Poledouris (Conan le Barbare, La Chaire et le sang et Starship Troopers de Paul Verhoeven) qui sait coller à la musique du film.
R.V.