Le cultissime western de Sam Peckimpah est une œuvre violente, et pas seulement parce que le massacre est filmé au ralenti. D’ailleurs, au-delà de la violence c’est avant tout un grand film et un magnifique western crépusculaire.
Réalisation : Sam Peckimpah
Scénario : Walon Green, Roy N. Sickner, Sam Peckinpah, Walon Green Distribution :
Année : 1969 |
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Synopsis : En 1913 la cavale de Pike Bishop et de sa bande de hors-la-loi du Texas au Mexique.
Scorpions et fourmis
Le film a marqué par sa mise en image de la violence. La Horde sauvage s’ouvre sur une fusillade et se conclut sur une autre. Ces deux massacres ont fait beaucoup pour la réputation du film bien qu’elles ne font que rendre visibles ce qui était souvent pudiquement caché par le Western classique. Ici on voit le rouge, un homme blessé ou tué par balle saigne. Sam Peckimpah s’il esthétise la violence ce n’est que pour la rendre plus palpable, le cinéma est un art visuel, il faut montrer. La brutalité n’est pas glamour, elle n’est pas non plus le monopole des méchants ou l’arme justifiée des gentils qui luttent pour la justice (il n’y en dans ce film ni bon ni mauvais mais des hommes qui vivent de leurs armes et qui meurent par elles).
Le choix du ralenti est une façon de montrer ce qui autrement ne pourrait pas l’être comme les blessures par balles d’hommes fauchés par une mitrailleuse. Mais le discours sur la violence passe aussi par ces enfants qui l’on voit au début du film et qui jouent à jeter des scorpions sur une fourmilière et qui regardent le combat des bêtes. Cette séquence est montée en parallèle à l’entrée dans une ville de la frontière des hommes de Pike Bishop (William Holden) vêtus d’uniforme de l’armée U.S. Après la fusillade, lorsque les mêmes hommes, du moins ceux qui ont survécus, quittent la ville on retrouve les mêmes enfants qui essaient de mettre le feu à la fourmilière. Car dans La Horde sauvage même les enfants ne sont pas épargnés par la violence, on retrouve ainsi au Mexique un enfant soldat, enrôlé dans l’armée du général Mapache (Emilio Fernández), qui participe à la fusillade finale.
Un film brutal qui n’exalte pas la violence. Les prouesses guerrières et criminelles des uns et des autres ne sont pas glorifiées car elles sont toutes mises sur un pied d’égalité dans l’horreur. Il n’y a pas de figures héroïques et positives auxquelles se raccrocher. Sam Peckimpah ne juge pas ses personnages et laisse ses spectateurs sans boussole morale. A ce titre l’ouverture brouille les repères, les bandits sont en uniforme militaires alors que les hommes payés par le chemin de fer et de fait les hommes de l’ordre, à défaut d’être des hommes de loi, semblent être des trappeurs pouilleux qu’on ne souhaiterait pas dans une rue sombre. Le mépris de la vie humaine de ces derniers à la solde d’un fort peu scrupuleux employé des chemins de fer, Harrigan (Albert Dekker) qui commande qu’on ouvre le feu sur les bandits malgré la présence de nombreux civil, dont une parade de la ligue de tempérance locale, est éloquent. La frontière entre les brutes stipendiées par le chemin de fer, menées par Deke Thornton (Robert Ryan) qui est un ancien complice de Bishop qu’on a fait sortir de prison pour mener la traque, et les hors-la-loi qu’ils combattent est des plus ténue. Ténue parce l’on passe de l’eux à l’autre en fonction des circonstances et du lieu, les bandits de Pike peuvent travailler pour l’armée régulière mexicaine pour attaquer un train de l’armée des Etats-Unis. Ténue aussi parce que la violence est répartie à égalité entre les protagonistes.
Le crépuscule des Vieux
Mais La Horde sauvage n’est pas un grand film parce qu’il est violent ou plus précisément par son approche frontale, c’est aussi un grand film parce qu’’il participe à la redéfinition du Western opéré à la fin des années 60 et au début des années 70, sous l’effet probable des co-productions italiennes mais aussi et plus sûrement de l'actualité des Etats-Unis d'alors et de l’essoufflement du Western dans sa forme classique et héroïque. Sam Peckimpah avec ce film semble se mesurer aussi bien au Western classique hollywoodien qu’aux productions italiennes qui lui sont contemporaines.
Le réalisateur paraît défié les Transalpins dans le registre de la violence et de la noirceur cependant il s’agit peut-être bien d’une fausse piste. La Horde sauvage est en fait une œuvre profondément américaine, le lyrisme baroque qui donne son souffle au Western européen à la sauce italienne est ici absent. Même si l’on est tenté de rapprocher le film de Peckimpah des Western dits Zapatta (Il était une fois la révolution, El mercenario, El Chuncho…) la encore on ferait fausse route. La question révolutionnaire, centrale dans les films zapatistes italiens, même si c’est pour la critiquer ou poser un regard désenchanter sur elle, n’intéresse pas le réalisateur. Ces américains au Mexique sont plus proche de ceux de Veracruz (le film de Robert Aldrich avec Gary Cooper et Burt Lancaster). Pour ces hommes violents le Mexique est un refuge, une terre d’opportunité, une contrée prometteuse de cette aventure qui n’est plus possible aux Etats-Unis. Et si on finit par rejoindre la Révolution ce n’est que pour trouver une belle mort et avant cela faire parler la poudre. Peckimpah ne revendique pas d’influences italiennes et son film est en effet différent de ceux des trois Sergio du Western spaghetti Leone (qu’on ne présente pas), d’un Corbucci (Django…) ou d’un Sollima (Colorado…). Malgré tous les Italiens avaient montré de façon éclatante qu’il y avait des spectateurs pour des Westerns plus corsés que ceux que Hollywood avait si longtemps produit.
La Horde sauvage est une mise en abîme crépusculaire du Western classique. D’abord parce que Peckimpah reprend dans sa distribution des acteurs qui ne sont pas étrangers aux Westerns et qu’il tourne des scènes qui sont familières aux amateurs du genre comme l’attaque de banque ou l’attaque du train. L’histoire qui nous est contée est celle de l’agonie de l’Ouest, celui de la fin de la conquête, celui des pionniers et des hors la loi. Pike Bishop, Dutch Erngstone (Ernest Borgnine) et Deke Thornton sont des dinosaures en voie d’extinction. Le massacre final est l’introduction de la mise à mort mécanisée, celle qui permet à une poignée d’homme d’en tuer un grand nombre sans talent ou savoir-faire particulier, pas besoin de viser avec une mitrailleuse. Le Western classique avait placé le duel en point critique de l’intrigue (tension dramatique, résolution des enjeux, le Bien et le Mal se faisant face…) et les Italiens avaient renouvelé cette figure de style avec imagination mais. Pour La Horde sauvage pas de duel, pas de place pour cette survivance d’un héroïsme obsolète dans cette histoire qui se passe au XXe siècle. Pourtant ce qui précède le carnage final reprend les codes du duel, monté de la tension, face à face entre deux points de vue antagonistes, on pourrait presque y croire mais non le duel ne vient pas vraiment, ce n’est qu’un prélude pour un bal tragique.
La violence du film est tout à la fois le reflet de cette fin d’un monde et d’une époque, donc d’une certaine façon de filmer le Western, d’autre part celui de la violence qui se déversait dans les foyers américains dans le contexte de la guerre du Viet-Nam, la première guerre et jusqu’ici la seule pleinement télévisée, et des assassinats politiques (John Fitzgerald Kennedy, Martin Luther King…). Toutes choses qu’on retrouve dans d’autres film états-unien de l’époque comme Soldat Bleu et ses ruptures de ton. La Horde sauvage est le film de la fin d’un monde.
R.V.