la mauvaise
réputation
Le film de John Milius est un classique du cinéma et un chef d’œuvre de la fantasy, c’est aussi une proposition adulte en rupture avec l’infantilisme qui règne dans le genre au cinéma
Titre original : Conan The Barbarian
Réalisation : John Milius Scénario : John Milius & Oliver Stone sur une histoire de Edward Summer (non crédité) Distribution :
Année : 1982 Synopsis : Conan est enlevé enfant et réduit en esclavage après que son village ait été attaqué et ses parents tués. Devenu adulte il se met en quête du chef des assaillants. |
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Conan le barbare est de ces films qui pâtissent d’une mauvaise réputation. Le film de John Milius ne serait qu’une œuvre bourrine et bas du front. La présence d’Arnold Schwarzenegger dans le rôle-titre et son image, injuste, d’acteur pour films d’actions et pour blockbusters y est pour beaucoup. Nous affirmons qu’il n’en n’est rien et que cette adaptation pour le grand écran n’est pas seulement la meilleur transposition du Cimmérien au cinéma mais aussi qu’il s’agit d’un film subtil même si plus viscéral qu’intellectuel.
Évacuons d’ailleurs dès à présent la question de la fidélité du film de John Milius et de ses scénaristes – Oliver Stone à travailler sur une première version du scénario - à l’œuvre originale de Robert E. Howard, un auteur qui nous est cher voir ici, avec une bonne réponse de Normand ; Conan le barbare est l’une des œuvres cinématographiques les plus proches des récits du Texan tout en prenant beaucoup de liberté avec sa source. Plus que la fidélité, ou l’infidélité, John Milius est parvenu avec ce film a réalisé l’une des trop rares apparitions totalement réussies de Conan sur grand écran ce qui semble relevé de l’exploit tant la suite, qu’elle soit immédiate avec Conan le Destructeur ou le remake/reboot, on ne sait plus trop, avec Jason Momoa sont au moins passables et au pire franchement mauvaise - désolé Jason, nous t’aimons bien mais ce film…
Le film de John Milius qui remonte tout de même à 1982 est avec Excalibur de John Boorman, sorti un an plus tôt, l’autre grande réussite de la fantasy adulte des années 80. Les deux films partagent un ton épique et pas forcément optimiste, surtout ils conçoivent la fantasy non pas comme des œuvres pour enfants ou adolescents mais comme des véhicules pour de grandes histoires avec d’autres enjeux que la quête d’un objet magique (le propre du Graal étant qu’on ne le trouve pas vraiment) ou la victoire de l’élu contre les forces du mal.
Ce ton non enfantin est une des marques de Conan la barbare, il n’y a pas de personnages comiques pour dédramatiser l’intrigue, il y à des scènes de sexe - plus élusives quand dans un épisode de Games of Thrones, comme le temps passe - qui n’ont pas leur place dans Willow et ne lésine pas sur la violence, depuis la massacre de la famille de Conan jusqu’à une ultime décapitation John Milius a tourné un film violent, sanglant et cruel. Dans Conan le barbare le sang est rouge et il coule. Dans Conan le barbare les têtes volent et parfois elles dévalent les escaliers. Cette violence n’est pas cartoonesque, elle a du poids.
John Milius est un réalisateur qui sait que le cinéma est une affaire d’images, son film est économe en dialogue. On met cela sur le compte de l’accent de Schwarzie mais aucun des personnages n’ait bavard. Les dix premières minutes du film sont presque sans parole, il n’y a guère que le monologue du père de Conan le reste n’est qu’images et musique. Cette dernière, signée par le regretté Basil Poledouris (La chaire et le sang, Cherry 2000…), complète à la perfection les images ajoutant encore de l’ampleur au film et parfois apportant un peu de légèreté. Le thème romantique composé pour la romance entre Conan et Valeria (Sandahl Bergman revue par la suite dans le rôle de la méchante reine lesbienne dans Kalidor/Red Sonja) est une merveille de beauté mélancolique. Car Conan le barbare n’est pas qu’une histoire de vengeance, de gros muscles et d’un héros tout droit sorti d’un visuel de Manowar ou une illustration Frank Frazetta, même si ce dernier est une référence incontournable.
Conan quand il ne vole pas, qu’il ne tue pas ses ennemis et ne boit pas comme un trou est amoureux. Il s’éprend de Valeria un alter ego féminin qui n’a besoin de personne pour se défendre et qui est animée par une volonté d’acier. Au final on sait peu de chose de la vie de Valeria avant sa rencontre avec Conan mais c’est un beau personnage comme on en voit peu, surtout à l’époque et même aujourd’hui. Le récent Conan bien que réalisé en 2011 n’offre pas de personnage féminin de cette trempe.
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Conan le barbare c’est aussi un grand méchant, on juge un héros à son principal antagoniste, hors Thulsa Doom est un opposant de choix. Joué avec gourmandise par James Earl Jones (la voix en V.O. de Darth Vador), Thulsa Doom est un vilain tout en retenu, son visage évoque par moment une infinie tristesse et un rien de lassitude bien d’avantage que le mal incarné. Pourtant il est un être maléfique ivre de pouvoir, mais il n’est pas une incarnation du Mal comme peut l’être Sauron. Il a quelque chose du séducteur, il incarne le pouvoir du verbe. Sa figure évoque celle du Serpent de la Genèse.
Le film adopte le point de vue de Conan ce qui le nimbe de mystères. La narration n’est pas omnisciente et le spectateur n’en sait pas plus que le protagoniste principal. On ne saura donc pas qui est la sorcière (Cassandra Gava) qui attaque Conan peu après que celui-ci ait recouvré sa liberté. Conan évolue dans un monde où la magie est présente mais n’étant pas un initié elle lui est incompréhensible comme elle l’est au spectateur. Même la secte de Thulsa Doom, le culte de Set, n’est vu que par les yeux de Conan, il reste donc une énigme menaçante. Cette approche de l’intrigue au plus près du héros fait l’effet d’une immersion soudaine dans un monde radicalement différent du nôtre. John Milius suscite un vif sentiment de dépaysement devant ces grands espaces, ces architectures pas complètement familières et ses décors étranges.
Conan le barbare enchaîne les morceaux de bravoure, les scènes marquantes et les séquences d’anthologies. Le film baigne dans une ambiance irréelle sans pour autant être féérique, l’une des nombreuses fautes de goût de son successeur. L’univers que nous montre Milius est d’une toute autre étoffe que celle dont on fait les contes de fée. Conan le barbare est un film ample qui prend son temps pour poser ses personnages et son intrigue et c’est très bien ainsi. Milius est un cinéaste d’un temps où l’on ne se sentait pas obligé de multiplier les plans et de les monter de façon épileptique pour faire vivre une scène d’action.
La suite directe, Conan le Destructeur, réalisée par Richard Fleischer un vieux de la vieille en fin de carrière mais duquel on n’écrira ici aucun mal parce que Les vikings, en délaissant le ton sérieux de son prédécesseur est moins plaisant et plus attendu. Le film n’est pas raté en soi mais il n’est pas aussi fort Conan le barbare. On sera moins indulgent avec Kalidor, mais c’est une autre histoire à lire ici.
R.V.