California girls
Comme si l’été n’avait pas de fin. Comme si l’adolescence durait toujours. Pendant un bref moment The Go-Go’s furent parfaites
The Go-Go’s ? Par où commencer ? Né de l’effervescence punk c’est autour de la scène de Los Angeles (X, Adolescents, Fear, The Plugz…) que se cristallise lentement ce qui deviendrait The Go-Go’s avec Belinda Carlisle au chant, Jane Wieldin et Charlotte Caffey, les guitaristes et compositrices, Kathy Valentine à la guitare basse et Gina Schock à la batterie. Fin 1979 il y eut les concerts à Los Angeles en ouverture de Madness, ce qui les amènerait à passer une partie de l’années suivante à tourner au Royaume-Uni en compagnie des groupes du revival ska du label Two Tone. Elles en profitèrent pour enregistrer un premier quarante‑cinq tours « We Got The Beat » pour Stiff Records et aussi faire les chœurs sur l’opus magnum More Special des Specials. Terry Hall, le chanteur du groupe Britannique leur écrira même les paroles d’« Our Lips Are Sealed », la chanson qui ouvre leur premier album Beauty and the Beat.
Il fallut encore presque un an avant que The Go-Go’s ne soient finalement prises en contrat par une maison de disque, ce fut l’indépendant I.R.S., qui avait aussi dans son écurie The Cramps d’autres rejetons indignent du punk. Le développement du hardcore appelé à devenir dominant éloigna le groupe de la scène punk de Los Angeles en pleine mutation (pour en savoir plus dégottez‑vous l’excellente compilation Punk 45 - Chaos in the City of Angels and Devils Hollywood from X to Zero & Hardcore on the Beaches : Punk in Los Angeles 1977-1981 chez Soul Jazz Records). A rebours de ce raidissement et de cette brutalisation le quintet s’orientait vers un son plus pop et des chansons accrocheuses de celles qu’on fredonne dès la première écoute comme si on les avait toujours connues. Sur Beauty and the Beat The Go-Go’s opèrent une réappropriation convaincante de la musique des années soixante avec l’énergie du punk. Une voie déjà suivie par Blondie et qui était aussi celle qu’empruntait des groupes aussi différents que The B-52’s (un premier album rétro-futuriste) ou les Ecossais de The Rezillos.
Beauty and the Beat sort le 8 juillet 1981 et même si ça ne s’est pas trop vu en France il fut un vif succès cet été-là caracolant au sommet des meilleurs ventes outre-Atlantique, ce à la grande surprise de tout le monde. Un tour de force pour un premier album et aussi une première pour un groupe exclusivement féminin qui écrivait son propre répertoire, avec sur deux titres le concours déjà mentionné de Terry Hall et celui de Peter Case (The Nerves, Plimsouls…) sur « Tonite », preuve dans les deux cas du goût sans faille de The Go-Go’s et du respect que leur témoignaient leurs confrères. Cette question du répertoire n’est pas anecdotique car en studio Richard Gotterher, un vieux de la vielle qui avait commencé sa carrière dans les années 60 avec des tubes comme « My Boyfriend Back » ou « I Want Candy » et avait aussi produit le premier album de Blondie, leur avait suggéré d’inclure une reprise, une idée pas plus bête qu’une autre qui rencontra un franc refus, ces jeunes femmes avaient leurs chansons et n’avaient pas besoin de celles des autres, du moins sur ce premier album.
En dépit de cette rebuffade l’apport de Richard Gotterher à la production et donc à l’accouchement de Beauty and the Beat fut crucial. Il poussa les musiciennes dans leur retranchement, le producteur avait du métier et il savait que jouer sur un disque ce n’est pas comme de donner un concert. Il incita The Go-Go’s à opter pour un jeu plus clair à mettre d’avantage l’accent sur les mélodies. Le résultat qu’on entend à chaque écoute rend compréhensible, par‑delà ce que le succès à d’hasardeux, qu’à l’été 1981 cet album fut un hit et qu’alors que les décennies ont passé Beauty and the Beat n’a pas pris une ride. Le secret est que cette galette n’a pas été enregistrée dans l’esprit de coller à l’être du temps car être dans le vent c’est avoir le destin des feuilles mortes - comme le prétendit le pas très rock académicien Jean Guiton. Etre à la mode est le plus sûr moyen de prendre plus souvent tôt que tard un méchant coup de vieux. Ni passéiste ni collé au présent Beauty and the Beat est un album qui est l’image parfaite du rêve de l’été sans fin et de la jeunesse dorée au soleil déjà chantés par les Beach Boys. Beauty and the Beat est un polaroïd à jamais hors du temps.
Et bien sûr il y a les chansons. Ce n’est pas le moindre des mystères de cette aventure. Beauty and the Beat est le recueil d’onze chansons qui frôle régulièrement la perfection pop et ne sont jamais mauvaises, ennuyeuses ou répétitives. Les musiciennes sont en places, Belinda Carlisle est une jeune chanteuse qui a encore dans la voix des intonations juvéniles du meilleurs effets et il y a ces harmonies vocales qui enrobent les refrains pour le plus grand plaisir des auditeurs. De l’énergique « We Got The Beat » à l’entêtant « You Can’t Walk In Your Sleep (If You Can’t Sleep) » en passant par le plus réservé « Fading Fast » ou la déclaration d’amour à Los Angeles « Our Town » avec ces guitares qui évoquent le surf rock il n’y a pas une chanson qui ne soit pas comme une petite balade dans un monde idyllique. Beauty and the Beat s’ouvre avec la déjà mentionnée « Our Lips Are Sealed ». La première chanson d’un album, a fortiori quand c’est celui qui ouvre une discographie, ne doit pas être juste plaisante ou accrocheuse, elle est comme un manifeste. Le piège est tendu et on tombe dedans avec joie d’autant que la suivante « How Much More » ne donne pas envie de s’échapper. Du rythme nerveux et vigoureusement martelé jusqu’aux voix qui s’entremêlent il n’y a pas de répit et l’on se dit qu’on est très bien. Ensuite vient « Tonite » et l’on découvre cette pointe de spleen, ce petit rien de mélancolie qui embellie les plus beaux souvenirs. Le travail sur les entrelacs de guitares entre les partis rythmiques et solistes enfoncent le clou et c’est déjà le temps du grand mélodrame « Lust To Love », le crève-cœur sans cynisme, la grande crise de larmes adolescente comme chez les Shangri-Las. On pourrait détailler un à un les titres mais on n’en a déjà trop fait, le reste c’est à vous de le découvrir, si ce n’est déjà fait.
Les influences années 60 entre girls group, surf music et harmonies vocales ne sont pas, ce qu’il y aurait de pires, des exercices de styles scolaires ou des marques d’éruditions pédantes et suffisantes (ces vices sont ceux de la critique) mais sont le vocabulaire et la syntaxe qui rendent au mieux ce sentiment d’éternel jeunesse et de douceur estivale sur lesquels n’ont prise ni le poids du temps qui passe et qu’est qu’un salaud ni le cycle des saisons et l’automne et la rentrée des classes qui arrivent toujours trop vite. C’est beau, joyeux et aussi un peu triste, cette note douce-amère qui sublime tout.
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The Go-Go’s ont enregistré d’autres albums, leur deuxième Vacation, sorti en août 1982, n’a pas rencontré un succès aussi massif. La suite est moins heureuse, le groupe se sépara une première fois avant de se reformer sporadiquement. Mais rien que pour cet album-ci elles ont une place de choix dans l’âme de ceux qui un jour ont pris le temps (trente-cinq minutes et des poussières) d’écouter cette merveille pop venue de la Californie du sud.
R.V.