Les maudits
Penny Dreadful est une série élégante et violente, une réussite en matière de fantastique et une merveille d’horreur gothique
Penny Dreadful est une belle série, nous y reviendrons. Penny Dreadful c’est aussi un délicieux sacrilège qui se permet de prendre des personnages de la littérature fantastique et d’horreur du XIXe siècle et de les réinventer pour le plus grand profit des spectatrices et spectateurs du XXIe siècle naissant. Des personnages patrimoniaux dont voici une liste qui n’est pas exhaustive : Dracula, Dorian Gray, le docteur Frankenstein et sa créature, plus de nombreuses sorcières, des bonnes et d’autres moins. Toutes et tous sont de la partie le tout sous l’influence des films d’horreur gothique de la Hammer et viscéralement britannique dans l’imaginaire.
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Cette co-production américano-britannique qui s’étend sur trois saisons qu’on peut toutes voir et revoir sur Netflix est empreinte d’un charme tout insulaire qui fait une bonne partie de son attrait. Un charme qui repose sur sa distribution (Eva Green, Timothy Dalton, Josh Hartnett…) et la magnificence de ses décors et costumes. Pour parler de cette série monde, commencer par sa grande beauté esthétique n’est pas vain puisque c’est précisément ce qui saute aux yeux à chaque plan, dans chaque épisode.
Les décors sont splendides et sont plus qu’une simple toile de fond, ils participent de l’atmosphère de ce récit. Penny Dreadful se déroule principalement à Londres une ville grouillante qui est venue de tout l’empire avec son quartier chinois et des personnages comme le docteur Jekyll (Shazad Latif) fils illégitime d’un noble anglais et d’une Indienne (qui apparaît dans la troisième saison) ou Sembene (Danny Sapani) le majordome africain de Malcolm Murray (Timothy Dalton) a ramené d’une expédition d’exploration en Afrique orientale sans oublié Brona Croft (Billie Piper), la petite Irlandaise. C’est le Londres de Jack l’Eventreur et de la reine Victoria comme si vous y étiez le spectateur navigue entre la haute société, la demeure de sir Malcolm Murray ou celle du très décadent Dorian Gray (Reeve Carney) et sa collection de tableau, et la ville pauvre et populaire celle de Brona et du désargenté docteur Frankenstein (Harry Treadaway). Une ville grise et sinistre, entre smog et pluie, mais aussi fastueuse et luxueuse qui jouit de la prospérité apportée par l’industrialisation et les richesses tirées de l’empire sur lequel le soleil, dit-on, ne se couchait jamais. Ces décors remplissent pleinement leur rôle immersif aussi bien dans ce qu’ils ont de réalistes pour rendre tangible un passé révolu que lorsqu’ils glissent dans les eaux troubles du fantastique. La partie américaine dans la troisième et dernière saison tire Penny Dreadful vers des horizons nouveaux. Le décors western est un pendant sauvage, non-encore civilisé à l’Angleterre victorienne et introduit un autre genre de fantastique - l’attaque du camp des U.S. Marshals par des serpents.
S’ajoute aux décors le grand soin apporté aux costumes que ce soit les superbes robes de Vanessa Ives (Eva Green), les beaux costumes de sir Murray ou les habits plus fonctionnels et ternes de l’américain Ethan Chandler (Josh Hartnett), de Victor Frankenstein ou de Brona. Ces distinctions de costumes, on pense aussi à la livrée du majordome Sembene, illustrent les différences marquées d’une société de classes avec d’un côté la gentry et la haute bourgeoisie qui possède la richesse et les très beaux vêtements qui vont avec et de l’autre les ouvriers pauvres, les femmes sans le sou, toute une population qui ne possède rien. La richesse des uns, dans Penny Dreadful, ne fait jamais oublier la pauvreté, parfois extrême, des autres.
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Si la forme est belle elle serait vaine si le fond n’était pas captivant.
Ces questions sociales et bien d’autres, comme la colonisation du monde par l’homme blanc fait majeur du XIXe siècle, incarnée par l’explorateur Malcolm Murray et bien évidemment Ethan Chandler (un homme de la frontière qui a combattu les Apaches), les débuts de la psychiatrie ou la lutte des suffragettes sont autant de toiles de fond sur laquelle le fantastique et l’horreur s’appuient. Cette série ne vous dit pas explicitement que l’ère victorienne était une époque dure pour les pauvres, il n’y a pas de discours d’un personnage plein d’humanité pour vous le dire, mais rien ne vous empêche de le penser. Il y a bien un peu de Charles Dickens dans Penny Dreadful mais la série à le bon goût de nous épargner le prêchi-prêcha, cet horrible vice contemporain.
Au milieu de ces personnages qui se croisent, se combattent, s’aiment et parfois se tuent il y a Miss Vanessa Ives riche héritière tourmentée par des puissances démoniaques et sans doute elle-même maudite. Le cœur de Penny Dreadful est donc de savoir ce que Miss Ives fera de sa malédiction, succombera-t-elle au mal qui la menace ou ira-t-elle vers la Lumière à laquelle elle aspire tant ? Car elle est une femme de son temps qui croit en Dieu et qui prend le salut de son âme très au sérieux, ce n’est pas un personnage post-moderne ricanant de tout ou une nihiliste. A la fin de la première saison Vanessa Ives s’entretient avec un prêtre qui lui dit qu’« être maudit c’est être touché par le revers de la main de Dieu », il y a de la bénédiction dans une malédiction, il y a une trace de divin même dans cela. La composition d’Eva Green pour ce rôle est admirable, il n’y a qu’à voir la scène de possession dans le deuxième épisode de la première saison pour être ébahi par l’intensité du jeu de l’actrice. Forcément en regard la distribution masculine est souvent un peu en retrait mais les hommes aussi ont de belles occasions de briller.
Vanessa Ives est au centre de l’histoire et elle relie les personnages entre eux et tous sont, comme elle, poursuivi par des démons qui leurs sont propres, comme elles ils sont maudits chacun à leur façon. Sir Malcolm Murray a entraîné son fils qu’il méprisait à la mort lors d’une expédition en Afrique et il n’a pas su protéger sa fille de Dracula, Ethan Chandler doit faire avec sa part animale et les conséquences des crimes qu’il a commis contre les Apaches mais pas seulement, Victor Frankenstein est habité par le souvenir de la mort précoce de sa mère et c’est juré de vaincre la mort quant à ses créatures elles doivent réapprendre à vivre et faire avec. Quant à Dorian Gray le prix qu’il paie son immortalité n’est pas vraiment une bénédiction. Si la série était réaliste ces personnages ne seraient qu’une collection de névrosés et de psychopathes mais puisque nous sommes dans le fantastique leurs démons ne sont pas que des métaphores, ils sont réels et prennent la forme de vrais monstres.
Les sources littéraires sont partout dans Penny Dreadful de Mary Shelley à Bram Stocker, en passant par Robert Louis Stevenson et évidemment Oscar Wilde. Certaines sources sont manifestes d’autres plus discrètes, si sir Malcolm Murray est un clin d’œil à Bram Stocker, ses voyages en Afrique le rapprocherait plus d’Alan Quatermain, et renvoie à un archétype colonialiste celui de l’homme blanc passionné par l’Afrique comme antithèse à ce qu’est devenu l’Angleterre industrielle. La série créée par John Logan paraphrase, site, détourne dans un exercice enamouré qui réserve son lot d’angoisse qui réjouira les amateurs d’horreur gothique et de fantastique élégant et violent.
Penny Dreadful offre un spectacle généreux qui repause sur une ambiance travaillée avec minutie sans pour autant négliger le spectaculaire et l'horreur pur. Loin du post-modernisme, du second degré et de l'ironie c'est une série qui rend hommage à la littérature fantastique du XIXe et au film gothique de la Hammer.
R.V.
P.S. : La série dérivée, Penny Dreadful : City of Angels, délaisse l’Angleterre victorienne et sa littérature fantastique au profit des Etats-Unis, Los Angeles en 1938, et du folklore mexicain et de ses figures féminines et macabres (La Llorana, Santa Muerte…).
Au fait...Qu'est-ce qu'un penny dreadful ?
Au Royaume Uni durant le XIXe siècle, un penny dreadful (traduction libre : frisson à un sou) est un genre littéraire populaire qui se vendait dans de petite publication à 1 penny.
C'était principalement des histoires macabres publiées en feuilleton sur plusieurs semaines et imprimées sur du papier de mauvaise qualité et destiné à un public populaire.
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