Reconstitution
de ligue dissoute
Cirith Ungol n’est peut-être qu’une relique d’un temps révolu mais par moment le passé est ce que le présent a de mieux à offrir
La nostalgie d’un temps qu’on n’a pas vraiment connu est parfois des plus délectables. I’m Alive de Cirith Ungol est une belle illustration de cette délectation et ne semble bien s’adresser en tant que double album CD avec en prime deux DVD qu’à deux types d’individus, les vieux de la vieille à qui on n’aura pas besoin de faire l’article pour les convaincre que c’est un incontournable pour leur discothèque et les néophytes curieux qui découvriront ici un précipité de l’œuvre et de la carrière d’un groupe culte du heavy metal américain. Le reste de l’humanité passera son chemin sans même un froncement de cil ou un haussement d’épaule.
Cirith Ungol c’est d’abord une histoire de lycéens californiens qui aiment le rock lourd et la fantasy depuis qu’un prof de lettres leur a fait lire Le Seigneur des anneaux. Une première mouture du groupe, sous le nom de Titanic, est formée dès 1971 et donnera son premier concert en 1972 lors d’un rassemblement contre la guerre du Vietnam. 1971-1972 c’est l’antiquité du Metal, la distinction avec le hard rock est encore jeune et pas tout à fait formaliser, le prog rock n’est jamais bien loin et l’abandon du blues comme source est de plus en plus patente mais tout reste encore à faire dans cette époque entre chien et loup.
Les débuts sont lents et leur premier album Frost And Fire fut auto-publié en 1981 sur le propre label du groupe Liquid Flames Records avant d’être repris plus tard dans l’année par Enigma Records une maison de disque indépendante fondée l’année précédente. En 1982 le groupe apparut sur la compilation Metal Massacre au côté, parmi quelques autres, de Metallica, un petit groupe appelé à devenir très gros.
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En 1992, après trois autres albums (King of The Dead, 1984, One Foot in Hell, 1986, et Paradise Lost, 1991) Cirith Ungol se séparait. Avec quatre albums en 10 ans il y a des bilans plus médiocres d’autant qu’on a depuis crédité le groupe d’avoir, avec quelques autres, posé les bases du power metal états-unien et même d’être l’un des précurseurs du doom et de son sous-genre epic doom. Cirith Ungol en son temps peina à trouver sa place, en marge des modes de l’époque et des deux pôles qui dominèrent commercialement le metal outre-Atlantique dans les années 80. Cirith Ungol ne fut jamais un groupe de glam metal, courant qui dominait la scène au début des années 80 à la suite de l’explosion de Mötley Crüe, et ne jouait pas assez vite pour monter dans le wagon du thrash - si tant est qu’ils n’en aient jamais caressé l’idée. Ce non-alignement fait de Cirith Ungol un groupe original qui ne se démode pas faute de ne jamais avoir été en vogue ou à la mode. Cirith Ungol ne sonne comme personne et reste à sa façon sans égal.
La reformation est actée en 2016 et le groupe se mit à sillonner les festivals entre les Etats-Unis et l’Europe, c’est ce dont I’m Alive se fait le témoin - avec des prestations captées à Up The Hammers festival, en Grèce, Hammer of Doom et Rock Hard en Allemagne. En août 2018 le groupe sortait le single « Witch’s Game » chez Metal Blade Records. Ceux-là même qui trente‑six ans plus tôt avaient sorti Metal Massacre et qui le 25 octobre 2019 (pile deux mois avant la Nativité, un hasard, une coïncidence ? je ne crois pas, non) firent paraître ce I’m Alive gargantuesque .
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En vue pas de nouveautés mais le répertoire millésimé et patiné par les ans de Cirith Ungol avec toujours la pâle figure d’Elric de Melniboné le personnage de Michael Moorcock peint par Michael Whelan pour orner la couverture. Le groupe avait avant de sortir son premier album pensé à Frank Frazetta pour la pochette mais ils s’étaient ravisés après avoir découvert dans un magasin que l’illustrateur travaillait déjà pour Molly Hatchett. I’m Alive s’il ne bouleversera personne par son aspect innovateur, Cirith Ungol n’est pas devenu sur le tard un groupe de djent ou de death metal technique, permettra néanmoins aux débutants de découvrir un paquet de chansons inoubliables à l’image de ce « Finger of Scorn » qui est comme une version brute, primitive et sans fioriture d’« Orion » de Metallica. Un titre implacable comme le destin avec son texte aux accents lovecraftiens.
Les hymnes entrainants, de ceux qui transforment les employés de bureau paisibles et les gentils garçons ou les gentilles filles en barbares intrépides et en guerrières sans pitié se succèdent, irrésistibles. Qu’il est bon de beugler, surtout si ce n’est pas très juste, sur « Edge of A Knife », « Join The Legion », « War Eternal » ou « Blood & Iron » qui sont autant de charges de cavalerie lourde contre la monotonie du quotidien. Les visions de chaos et de ténèbres ne sont pas absentes non plus de ces chansons exaltantes imprégnées de fantasy dans ses pendants les plus sombres car par-delà Tolkien, le choc original, il y a Moorcock et aussi la figure de Robert E. Howard, le père de Conan, qui s’avance dans l’ombre.
Ce qui rapproche le groupe du doom metal c’est cette noirceur moins complaisante qu’assumée qu’on retrouve sur « Doomed Planet » qui trente ans et des poussières après colle plus qu’on ne le souhaiterait à nôtre présent. La déchirante « Fallen Idol » est de son côté la plainte d’une civilisation agonisante autre thème par trop dans l’air du temps.
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I’m Alive est réjouissant du début à la fin. Bien sûr il y a ailleurs des groupes plus agressifs ou des musiciens plus techniques mais la dynamique entre les cinq membres de Cirith Ungol est ahurissante et fait plaisir à voir et à entendre. Robert Garven (batterie) et Greg Lindstrom (guitare), sont les deux membres originaux, avec le chanteur Tim Baker (hurleur dans le groupe depuis 1976) ils veillent à la préservation de l’esprit de Cirith Ungol, l’autre guitariste Jim Barraza et le petit nouveau Jarvis Leatherby à la guitare basse complètent l’effectif. Ce live généreux au répertoire cohérent est espérons-le moins une œuvre testamentaire qu’un bilan avant d’entamer une nouvelle ère pour Cirith Ungol.
R.V.