game of Thrones
pourquoi la dernière saison
n'est pas si mauvaise
A l’heure où certains signent une pétition pour que HBO retourne une huitième et dernière saison de Game of Thrones voilà quelques raisons de ne pas détester cette fin de série en admettant que Daenerys n’était peut-être pas l’héroïne attendue
D’abord le plus facile, ce que la dernière saison de Game of Thrones n’a pas complétement réussi. Six épisodes qui presque tous dépassent une heure ce n’était pas l’idée du siècle. Ces épisodes au format long métrage reposaient sur des mécaniques narratives qui n’étaient pas dans la continuité de celles déployées dans les saisons précédentes. Avec une telle durée les épisodes ont perdu de leur mordant et certaines évolutions qui n’ont pas été assez approfondies ont laissé nombre d’entre nous perplexes. D’autant que ce que la série avait longtemps laissé hors champs l’aspect proprement militaire de l’histoire qu’elle nous narrait. La dimension guerrière est devenue le centre de certains épisodes que ce soit contre le Roi de la nuit ou entre la coalition et les forces de Cersei. En ces occasions GoT a mal géré le difficile rapport entre le spectaculaire et une certaine cohérence tactique perdant en vraisemblance. Les tacticiens en chambre n’ont pas manqué (voici l’avis du colonel Michel Goya sur la bataille de Winterfell, lui au moins ne tient pas son savoir de la série de jeux vidéo Total War). Autre point noir cette impression de pschitt que fait le Roi de la nuit. Quand on pense au temps qu’il a passé à faire ses spirales celles-ci resteront des mystères alors qu’un petit flash-back de Bran pour tirer au clair le sens de ces symboles morbides ça n’aurait pas été superflu. Ces critiques s’entendent et ne sont pas les jérémiades de fans qui n’ont pas voulu comprendre la nature complexe et donc intéressante de Daenerys.
Et c’est maintenant qu’on entre dans le dur. Qui le veut trouvera sur le net une multitude de textes, de memes et de vidéos YouTube expliquant que l’évolution du personnage de Daenerys est trop brutal et que son brutal changement de personnalité en reine assoiffé de sang n’est pas justifié. Pire qu’il s’agirait d’une sorte de trahison et que c’est la preuve manifeste de la nullité des gens qui ont fait GoT. Affirmons ici qu’ils ont tort et que leur ressentiments est la preuve que non l’écriture n’a pas été sacrifiée en cette huitième saison mais que tout au contraire leur confusion est la preuve que les équipes qui ont travaillé à cette ultime saison ont réussi à faire ressentir aux spectatrices et spectateurs de GoT tout le désarroi des Tyrion, Jon et autre Varys qui ont sincèrement cru que Daenerys seraient une bonne reine. D’ailleurs y-a-t-il vraiment eu une brutale transformation du caractère de Daenerys ?
Les indices de la cruauté de Daenerys n’ont pas manqué tout au long de la série et les fans de GoT lui ont beaucoup pardonnée. Ces accès de cruauté, ces débordements de violence et parfois sa froideur se trouvaient justifiés par la nature malfaisante de ses victimes. Daenerys n’a pas sillé quand est mort son frère et nous n’avions nous-mêmes pas beaucoup d’empathie pour Viserys qui ne brillait pas par ses immenses qualités. Les traumatismes de cet orphelin ne nous ont pas été exposés, il n’a pas eu l’heur d’être l’un des personnages point de vue de la série, c’était au travers des yeux de Daenerys que nous le voyions. Nous n’avions pas d’avantage d’empathie pour les Khals qu’elle a immolé ou les maîtres esclavagistes qu’elle a fait massacrer car nous savons tous que l’esclavage c’est mal. Nous n’avons aucun mal à justifier ces morts ou à partager cette froideur avec laquelle Daenerys les accueil.
Mais qu’en est-il du personnage de Mirri Maz Duur qui ne peut oublier que si Daenerys l’a sauvée, elle a laissé mourir ou conduire en esclavage le reste de son peuple. Un acte de gentillesse, ou plutôt de pitié, rachète-t-il son inaction ? Là encore nous avons adopté le point de vue de Daenerys, nous avons cru son histoire, celle d’une jeune femme bienveillante capable de prendre en pitié une femme qui finira par lui nuire en usant de ruse et de magie. Mirri Maz Duur n’était pas une jeune beauté et oubliant ce qu’elle avait traversé nous n’avons vu en elle qu’une sorcière malfaisante.
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Plus proche de cette dernière saison si peu aimée, les fans qui se plaignent partout que le changement de caractère de Daenerys est trop soudain ont-ils oublié le sort qu’elle réserva aux Tarly ? Pourtant cela avait suscité quelques inquiétudes auprès de ces conseillés Ouestriens, mais là encore nous avons été prompts à lui pardonnée. Randyll Tarly nous a été dépeints sous les atours les plus odieux, sa haine pour son fils Sam nous a prédisposé à ne pas le porter dans nos cœurs et puis il était au service des Lannister, même s’il y avait de la contrainte dans sa prise de partie pour la reine Cersei. Cette dernière, Cersei, est un tel repoussoir, elle a une telle responsabilité, partagée avec Jamie, dans la guerre qui a déchiré les Sept Couronnes que Daenerys ne pouvait pas être pire. Dés le premier épisode Cersei a tout fait pour se faire haïr. Machiavel s’il recommandait d’être craint déconseillait fortement au prince d’être haï, Cersei ne se serait pas embarrassée de cet avis si elle l’avait reçu.
Le massacre de la population de Port-Réal trouve ses origines dans la propension mainte fois démontrée par les précédentes saisons de la série qu’a Daenerys à faire cramer ce qui lui résiste mais aussi dans ce qu’il faut bien appeler le désenchantement que constitue son arrivée tant espérée à Westeros et aussi un changement d’attitude de la prétendante targaryen. Car rien ne se passe comme elle l'avait prévu.
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Westeros n’attendait pas Daenerys, elle n’y est pas la bienvenue or pour cette dernière la chose était entendue, elle, et elle seule, était la souveraine légitime des Sept Couronnes et tous devaient ployer le genoux. C’est la première chose qu’elle demande à Jon Snow lors de leur première rencontre et elle le retient captif, disons en résidence surveillée, jusqu’à ce qu’il lui prête allégeance au risque de s’aliéner ses compatriotes, mais là encore il faut croire que tout le monde a oublié la saison précédente. Et il en sera ainsi tout au long de ses deux dernières saisons, venue récupérer ce qui lui revient de droit Daenerys ne s’embarrasse pas de subtilité.
A Essos Daenerys ne revendiquait aucun héritage et ne se parait d’aucune légitimité autre que celle de la chef charismatique. Il lui fallait faire la conquête des cœurs et des esprits, ce n’était pas qu’un stratagème, elle fut efficace et cela convenait à son état d’esprit de se présenter en libératrice. C’était on le comprend gratifiant mais retourner chez elle à Westeros elle n’en a plus que pour sa légitimité dynastique et est obsédée par sa reconquête du Trône de fer. Elle ne demande des habitants de Westeros qu’une obéissance totale et indiscutable car ils sont ses sujets. Il est intéressant de voir qu’elle n’a aucune interaction avec les Ouestriens. Elle ne profite pas du temps qu’elle passe à Winterfell pour apprendre à connaître les Nordiens. Les scènes de bains de foule vue précédemment dans la série n’existe plus dans cette dernière saison. Le drame étant que Daenerys continue à se percevoir comme une libératrice alimentant le mal entendu entre elle et Sansa pour qui le Nord n’a pas besoin d’être libéré puisque libre il l’est déjà.
Incapable de se lier au peuple qu’elle souhaite dirigée, Daenerys voit le nombre de ses proches se restreindre à mesure que le temps passe. Il y a les morts, la Mère des dragons perd deux de ses rejetons, Jorah Mormont meurt lors du siège de Winterfell et Missandei est tuée de la façon la plus spectaculaire qui soit. Ces morts l’isolent la laissant face à ses alliés et conseillés de Westeros qui ne partagent pas toujours son point de vue sur la marche de la guerre contre les Lannister ni même l’entièreté de ses vues politiques. Des conseillers et alliés quelle percevra de plus en plus comme des traîtres en puissance et qu’elle s’aliènera l’un après l’autre, Varys en premier, il le paiera de sa vie, et enfin Tyrion qui sauvera sa tête de peu. Quant à Jon Snow s’il reste fidèle ce n’est que parce qu’il est tenu par un mélange d’amour et de fidélité au serment qu’il a prêté, mais il aussi mieux placé pour poser ses fesses sur l’inconfortable Trône de fer.
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Le sac de Port-Réal n’est pas un acte de folie, il ne fait pas de Daenerys une Mad Queen comme on peut le lire ou l’entendre ça et là, c’est un acte réfléchi et qui est conforme à sa vision du monde. Daenerys le dit clairement si les habitants de Port-Réal veulent vivre ils n’ont qu’à lui ouvrir les portes de la ville, se soulever contre les Lannister et renverser Cersei. Le choc vient de l’écart entre la vision idéalisée que nous avons de Daenerys et sa réalité d’anti-héroïne renversée. L’anti-héros c’est ce personnage qui fait semblant de se foutre de tout et qui parfois joue au méchant mais qui finit par faire le bien. Le docteur House est à première vue l’antithèse du héros de série médicale mais il guérit les patients qui lui sont amenés comme n’importe lequel de ses collègues d’Urgence ou de Grey’s Anatomy. Daenerys est tout le contraire de ce genre d’anti-héros, c’est la méchante qui joue à la gentille. Cersei est détestable parce qu’elle est mauvaise et l’assume, elle ne cherche pas à s’en excuser, elle a une vision noire et tragique de l’existence. Daenerys nous a bernés d’abord parce qu’elle proposait une vision positive du Monde, elle voulait le changer en mieux, briser la roue du pouvoir ensuite parce que par contraste elle put faire bonne figure. GoT nous a offert un beau personnage de méchant qui n’était gentil que parce qu’on détestait ses ennemis si fort qu’au fond peu nous importait qui était vraiment cette princesse exilée.
Daenerys a été pas à pas construite comme un personnage plus complexe que ce que ses fans sont prêts à admettre. N’a-t-elle pas eu cette vision prophétique de la salle du trône recouverte de cendre ? Là encore nous avons peut-être une des faiblesse de la série, la mise de côté de son aspect prophétique. La fiction américaine nous a habitués à ce que les prophéties ne se réalisent pas, que face au libre arbitre et à la force de la volonté on pouvait contredire les prophéties, choisir son destin – ce qui est antinomique s’il y a destin il n’y a pas de choix, s’il y a choix il n’y a pas de destin ces deux propositions sont mutuellement exclusives. GoT a déjoué les attentes du public en se pliant à ce que la série avait elle-même prévue.
Le personnage de Daenerys pause aussi crûment la question de ce qu’on est prêt à tolérer comme violence au nom de la justesse d’une cause, de l’adhésion à une idéologie et de la façon dont on peut se laisser entrainer par des individus charismatiques. Même le pourtant très fin et habile Tyrion refuse de voir ce que Daenerys, la reine qu’il s’est choisi, à de cruel, d’obtus, et de dur dans son tempérament. Varys est moins dupe mais lui aussi ne comprend vraiment que trop tard la nature de la nouvelle reine.
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Et nous voici au point où il nous faut admettre que nous aussi qui regardons la série nous partageons avec Tyrion et Jon cet effroyable constat que notre héroïne n’est pas celle que nous avons espéré qu’elle serait. Cet aveuglement c’est le nôtre. Non, nous ne sommes pas les malheureuses victimes de mauvais auteurs. Il n’y a pas pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir. Plus cocasse dans tout ça c’est de se demander où sont passés ceux qui louaient GoT pour la façon dont le série jouait avec les conventions de la fantasy. Où sont ceux qui louaient Got pour ses personnages complexes tout en nuances de gris. Comment une série qui nous a apporté les noces pourpres pouvaient faire l’économie de glisser un zeste de noirceur et d’amertume dans son dénouement. Y-a-t-il eu des gens pour espérer une fin heureuse repeinte en rose ?
Il est plus que temps de conclure. Sansa est sans doute la vraie héroïne de GoT, la façon dont elle rappelle à l’ordre son oncle maternel, Edmure Tully, lorsque celui-ci bouffi d’un orgueil mal placé se propose comme nouveau roi des Sept Couronnes (moins une) est des plus délectables. Peut-être qu’un jour George R.R. Martin proposera sa fin à lui, elle sera peut-être meilleure mais pour l’heure nous n’en savons rien et cela peut durer encore longtemps. Cette huitième saison est la seule fin disponible et rien de ce qui a été (mal)fait n’empêchera le monde de tourner. Le vrai crime de cette huitième saison est d’être la dernière mais il est bon de se souvenir qu’il n’y a pas que les humains qui sont mortels, les séries aussi. Game of Thrones est mort et c’est très bien comme ça ! Et non cette mort ne fut pas honteuse.
R.V.
P.S. : C’est cette vidéo qui nous a aidés à comprendre une partie de la complexité du personnage de Daenerys.