De l’art de faire l’idiot
Antidote au marasme post suicide de Curt Cobain, Dookie offrit à un petit groupe punk de la baie de San Francisco un succès mondial qui ne s’est presque pas démenti depuis
En 1994, année de sortie dans les bacs de Dookie, Green Day existe depuis sept ans, a enregistré deux albums pour le label indé Lookout ! Records et est un pilier de la scène punk de San Francisco qui compte dans ces rangs des gens comme NOFX ou Rancid. Cette scène de la baie de San Francisco est soudée autour d’une forte éthique Do it yourself, d’un certain esprit d’indépendance et par un club, l’Alternative Music Foundation, sis au 924 Gilman Street à Berkley, hors en signant sur une major après le relatif succès de leur deuxième album Kerplunk ! (presque le nom d’un patelin breton) c’est à cet esprit que Billie Joe Armstrong (chant et guitare), Mike Dirnt (basse) et Tré Cool (batterie) renonce en signant avec la major Reprise, sous marque de Warner. Il y eut, il y a sans doute encore, des grincements de dents devant cette trahison et le succès commercial qui suivit n’allait pas aider Green Day à se débarrasser de cette image de vendus. Pourtant les punks de San Francisco suivaient l’exemple d’un groupe comme Nirvana mais il faut croire que ce qui était permis à un groupe grunge de Seattle ne l’était pas à un groupe punk de la Baie.
L’ombre de Nirvana plane d’ailleurs sur le succès de Green Day comme au-dessus de celui de The Offspring (le carton de Smash lui aussi sorti en 1994 sur le label indé Epitaph). Nous sommes un an après le suicide de Kurt Cobain, Nirvana est mort avec son charismatique chanteur guitariste. Le grunge a perdu sa locomotive et il y a plein d’ados amateurs de musique à guitare en deuils qui attendent la prochaine sensation. Une sensation qui prit la forme d’un revival punk, parfois mâtinée de ska, que personne n’attendait vraiment en provenance des Etats-Unis dont Green Day sera l’un des fiers hérauts.
|
|
Dookie de Green Day c’est donc l’histoire d’un album et d’un groupe qui tombent au bon moment, avec le personnel adéquat, les musiciens sont d’une cohésion parfaite. Les thèmes abordés tout au long de l’album parlent aux adolescents mal dans le peau et révoltés contre un monde qui est trop injuste. Green Day a cette image de groupe potache hors il y a toujours des gens pour prendre le rock au sérieux mais en écoutant Dookie ce n’est pas de la joie de vivre que l’on entend mais un mélange de désespoir et de colère. Dookie ne respire pas le bonheur lénifiant de la classe moyenne blanche (grande critique réservé au punk U.S. de cette époque) mais l’isolement et la masturbation (Longview) ou la haine gratuite pour un inconnu (Chump). L’album transforme une chanson sur les troubles anxieux de Billie Joe Armstrong en succès mondial, c’est Basket Case, alors que When I Come around nous rappelle que les ruptures font de bonnes chansons. Ces deux chansons seront des tubes même en France mais on est moins d’un an après le succès commercial de Cannonball des Breeders et il y avait encore en France un marché pour des chansons rocks énergiques.
L’album est rempli jusqu’à la gueule de chansons hyper efficaces qui prennent dès la première écoute leur petite place dans votre cerveau, on pense aux Ramones, mais aussi aux Irlandais d’Undertones (qui eux étaient beaucoup moins politisés que leurs compatriotes de Stiff Little Fingers) et à tous ces groupes qui ont su conjuguer musique accrocheuse et mélodrames adolescents. Dookie par-delà son tire de barrage sonique, le gros mur de son conçu par le producteur Rob Cavallo et le mixeur Jerry Finn, se ménage une certaine diversité avec un titre partiellement acoustique, F.O.D., ou le quasi country Pulling Teeth. Pas de quoi faire de Green Day un groupe innovateur ou expérimental mais assez pour admettre qu’il y a plus à se mettre sous la dent qu’une formule fusse-t-elle savoureuse. A la même époque Green Day reprenait les Kinks (Tired of Waiting for You en face B du single Basket Case, trouvable sur la compilation Shenanigans) et parfois ils font penser aux Who des débuts, ceux qui vont du premier album à Sell Out. Cette obsession anglophile impose à Green Day un goût pour la mélodie qui n’est jamais démenti du début à la fin de Dookie.
A sa sortie, en France du moins, la presse musicale n’a pas été très tendre avec Dookie et il y eut plus d’un ayatollah du punk pour lancer des fatwas mais l’album se vendit et il garde, surtout si vous étiez en ce temps-là le genre d’ado qui aimait le rap mais sans plus et qui ne pouvait saquer les musiques électroniques, une place dans ce pays merveilleux qu’on appelle nostalgie.
|
R.V.