Une Belle plante
Quand Levi Stubbs, des Four Tops, prête sa voix à une plante carnivore extraterrestre on sait que celle-ci sera aussi groovie que féroce
Réalisation : Frank Oz
Scénario : Howard Ashman (d'après le livret de la comédie musicale) Musique : Frederick Loewe Distribution :
Année : 1986 |
Synopsis : Seymour Krelborn travaille chez un fleuriste qui vivote dans un quartier mal famé. Orphelin, sa vie se limite à la boutique où il vit, à M. Muchnik son patron qui l’a recueilli et Audrey sa collègue jusqu’à ce que par un jour d’éclipse il découvre une étrange plante carnivore.
Cette histoire commence à peu près le 14 septembre 1960 de l’ère chrétienne avec la sortie en salle d’un film à tout petit budget (on parle de 30 000$) tourné en deux jours et une nuit parce qu’il y avait un plateau et des décors disponibles. Ce film c’est The Little Shop of Horrors qui fut produit et dirigé par Roger Corman, l’empereur du cinéma d’exploitation U.S., le dieu des drive-in et de la série B. C’est ce film, variante autour du pacte faustien avec une plante mangeuse de chair humaine en lieu et place de Méphistophélès, qui devint en 1982 une comédie musicale off-off-Broadway sous le titre Little Shop of Horrors. De la distribution de la comédie musicale, seule Ellen Greene (Pushing Daisies) qui est Audrey, le premier rôle féminin, trouva son chemin jusqu’au cinéma, lors de l’adaptation du spectacle pour le grand écran. 1986 est l’année où la boucle est bouclée et qui voit la plante carnivore revenir au cinéma cette fois en couleur et en chansons.
Ellen Greene donne la réplique à Rick Moranis (S.O.S. Fantômes), Seymour Krelborn le fleuriste orphelin aussi tendre que maladroit. On relève aussi la prestation de Steve Martin dans le rôle d’un type si méchant qu’il ne peut faire que dentiste et le duo qu’il joue avec Bill Murray, en patient masochiste qui en redemande. Les seconds rôles sont une part du spectacle et sont pour beaucoup dans la loufoquerie qui imbibe La petite boutique des horreurs. Cette galerie de personnages aux tempéraments et aux actions excessifs nous dit que cette histoire n’est pas très sérieuse tout en, paradoxe amusant, donnant vie à un monde propice à l’existence même d’une plante vénusienne qui croit à mesure qu’elle consomme du sang et de la viande d’êtres humains plus ou moins innocents.
La production assume sa dinguerie en la traitant avec une naïveté colorée. L’esthétique est kitsch et envoie le spectateur dans des années 60 plus belles qu’elles ne le furent en réalité. C’est le temps du président Kennedy qui s’est depuis inscrit dans l’inconscient collectif comme une belle époque, un temps heureux et insouciant. Cette imagerie dédramatise l’histoire, une dédramatisation et une immersion dans un temps idéalisé que viennent renforcer les chansons au programme.
Car il est temps d’en venir à la musique et aux chansons qui font la part belle aux années 60 entre Rock’n’roll, tubes de la Motown et pop pré-Beatles et singulièrement les Girls Bands de l’époque, la chanson du générique site les paroles d’un tube chanson des Shangri Las, The Leaders of The Pack, et les trois membres du mini-coryphée s’appellent Crystal, Ronnette et Chiffon du nom de trois formations féminines qui eurent leur quart d’heure de gloire avant que la british invasion ne balaye les Etats-Unis. Ces chansons illustrent l’époque et donne un sentiment de familiarité instantanée. On se prend très vite à les fredonner comme si on les avait déjà entendues et donc toujours connues.
La réalisation signée Frank Oz ne manque pas d’imagination visuelle comme ce plan filmé depuis l’intérieur d’une bouche chez le dentiste. Quant à Audrey II la plante anthropophage et à la voix soul, c’est Levi Stubbs, l’un des chanteurs des Four Tops, un groupe Motown, qui prête sa voix au monstre, elle reste impressionnante même selon nos critères d’aujourd’hui. Elle semble possédée animée par une vie particulière comme mue par une grande méchanceté patiente et entêtée. Les marionnettes créées pour donner vie à une plante fonctionnent bien sans doute parce qu’elles sont l’œuvre de Frank Oz (l’homme qui anima maître Yoda et Miss Piggy parmi tant d’autres) et de son équipe. Le film repose sur des effets de plateau, seul la fin d’Audrey II a nécessité l’usage de trucages par ordinateur.
Plus léger dans le ton et dans la forme que d’autres films musicaux rocks de la décennie précédente (The Rocky Horror Picture Show, Tommy ou Phantom of the Paradise) La petite boutique des horreurs est un bonbon coloré mais aussi acidulé qui cache plus ou moins profondément sa noirceur sous une bonne humeur parfois forcée. Le personnage d’Audrey, victime d’un petit ami violent, est le symbole de ce ton doux amer qui dissimule sous sa superficialité apparente une part obscure.
R.V.