Confinement Brutal
Neil Marshall a à sa filmographie une poignée de films bons ou sympathiques, Doomsday est de ceux-là
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Année : 2008
Réalisation : Neil Marshall Scénario : Neil Marshall Distribution :
Synopsis : Lorsqu’un virus mortel apparaît en Ecosse les autorités du Royaume-Uni dépassées place la province sous quarantaine. La petite Eden Sinclair est emmenée par des soldats qui fuient la zone. Adulte, Eden, retourne en Ecosse pour accomplir une mission qui doit empêcher la maladie de se répandre en Angleterre. |
Neil Marshall est un réalisateur britannique qui a commencé à s’illustrer au cinéma au début des années 2000 avec deux films d’horreur qui ont fait les délices des amateurs d’épouvante. Ce fut d’abord Dog Soldiers (2002), des soldats de sa gracieuse majesté Elisabeth II en but à du loup garou obtus, puis The Descent (2005), une poignée de copines amatrices de sensations fortes qui découvrent au cours d’une virée spéléologique dans les Appalaches une colonie de troglodytes affamés. Doomsday, le troisième long métrage de Marshall, est un aurevoir (un adieu ?) au cinéma horrifique pur puisqu’il s’agit d’un film de science fiction. C’est, pour être précis, un post-apo. Une apocalypse de poche puisque seule l’Ecosse, frappée par un virus et mise sous quarantaine, est concernée par cet effondrement de la civilisation. Le reste du Royaume-Uni, qui s’est débarrassé piteusement de sa partie la plus septentrionale en reconstruisant le mur d’Hadrien, a été épargné par la maladie mais a sombré dans le marasme économique et politique. Londres est surpeuplée et des politiciens sans scrupules dirigent le pays. Ce n’est pas la joie d’autant que le sal virus a fait son apparition dans les bas-fonds londoniens.
Néanmoins comme on ne se refait pas la violence très présente dans Doomsday entraine giclés de sang, membres ou têtes coupées, quand elles ne sont pas éclatées, et même un pauvre scientifique cuit au barbecue. Cette brutalité explicite n’est pas sans rappelée les précédentes réalisations de Neil Marshal mais elle convie aussi à la fête des réminiscences de l’une des deux inspirations manifestes de Doomsday, Mad Max 2 : Le défi de George Miller qui inventa à lui seul ou presque le genre post‑apocalyptique moderne comme représentation d’une dystopie sauvage qui suit la fin de la civilisation. L’Australien en a défini les codes comme l’esthétique et suscita son lot d’épigones plus ou moins convaincants. L’autre inspiration flagrante étant les aventures de Snake Plissken (Kurt Russell) dans New York 1997 et Los Angeles 2013 signées par John Carpenter.
Doomsday emprunte à son prédécesseur australien en vrac : les survivants aux looks mi punk/SM (le concept de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren revu par les Ecossais d’Exploited) et mi barbare du futur SM, les courses poursuites automobiles, avec modèles customisées, et une violence ultra sèche, soudaine, sadique et aussi désespérée. La bande du charismatique et frapadingue Sol (Craig Conway) ressemble à des adolescents cruels qui auraient grandi sans repères moraux solidement ancrés, ils sont les enfants perdus qui ont survécu à la maladie et pire, à ce qui a suivi, le grand ensauvagement. Il est clairement établi qu’ils sont cannibales alors même qu’on a vu auparavant que des troupeaux de vaches errent dans la campagne. Savent-ils seulement qu’on peut manger de la vache ?
Aux films de John Carpenter, Neil Marshall emprunte l’idée d’un bout de territoire abandonnée à la sauvagerie par un pouvoir dépassé, ici pour un motif sanitaire, ainsi qu’un pourrissement de la démocratie et la quête contrariée d’un mac guffin. Chez Carpenter il fallait retrouver le président des Etats-Unis, puis la fille de celui-ci, et surtout dans les deux cas ce qu’ils avaient emporté avec eux, dans Doomsday le graal est un remède à la maladie qui menace de ravager l’Angleterre et qui aurait été ou pas trouvé par (Malcolm McDowell, l'inoubliable Alex d'Orange mécanique), un docteur disparu depuis des années. Dernier emprunt notable, un personnage borgne qui sert de héros ou de anti-héros.
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La nuance n’est pas mince. Si Snake Plissken est clairement un anti-héros, un personnage solitaire qui évolue en marge de la loi comme du monde criminel, qui est un individualiste farouche et défiant vis-à-vis de toute autorité, que ce soit celle du président des Etats-Unis, du duc de New York ou d’un chef révolutionnaire et un genre d’anar (de droite ?) Eden Sinclaire (Rhona Mitra) n’est pas un simple décalque féminin du personnage imaginé par John Carpenter et incarné par Kurt Russell.
Sinclaire est une policière pas commode, la scène qui nous la présente avec sa fusillade à bord d’un bateau et les morts qui s’empilent nous le montre, mais elle est une exécutante. Elle n’est pas aussi libre qu’un Plissken, Doomsday est même l’histoire de sa libération. Ce bon petit soldat, qui suit les ordres même si elle n’est pas dupe, elle a même cette interrogation lorsqu’elle parle avec son supérieur (Bob Hoskins Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) « Où sont les grandes causes ? ». Eden est assez intelligente pour savoir que Michael Canaris (David O'Hara) qui murmure à l’oreille du premier ministre (Alexander Siddig) est un salopard mais elle obéit aux ordres et se démènent pour mener à bien sa mission. Elle finira par s’affranchir et rusera pour mettre fin aux manigance de Canaris. Eden Sinclair a aussi une motivation personnelle pour agir et consentir à sa mission, contrairement à Snake Plissken. Cette mission en Ecosse c’est un retour chez elle. On devine qu’elle n’est pas totalement indifférente à l’idée de retourner en Ecosse même si elle n’a pas de souvenir de l’endroit. Ces possibles arrières pensées ne sont pas explicitées formellement néanmoins au détour d’une scène vers la fin on comprend qu’il y a plus que l’accomplissement de sa mission.
Neil Marshall ne fait pas que rendre hommage à deux films cultes, si Eden Sinclair a perdu un œil ce n’est pas juste pour lui donner un air badass comme disent les jeunes, de dure à cuir comme disent les vieux, et la faire ressembler à Snake Plissken mais pour en faire quelque chose qui a de l’importance. Sinclair a un œil bionique, une petite caméra qu’elle peut diriger à distance parce qu’évidemment parfois elle retire cette prothèse de son orbite pour la lancer et voir ce qu’elle ne pourrait pas voir tout en restant à couvert. Avec cet œil caméra elle peut aussi filmer et garder des images sur une petit disque. Ce n’est pas un gadget qui lui permet de ce sortir de toutes les situations mais c’est le genre d’idées qui font aimer une série B.
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Doomsday, passé son exposition en deux parties, le pré‑générique qui offre le contexte historique puis on découvre le présent. Le Royaume-Uni est devenu un paria sur la scène international, on découvre succinctement l’affaiblissement de la démocratie, une police militarisée et des bidonvilles. Pas le temps de rentrer dans les détails de comment l’Angleterre en est arrivée-là qu’Eden Sinclair rencontre les deux scientifiques qui devront comprendre comment les survivants ont survécus et établir le contact avec Kane, un médecin qui n’a plus donné de nouvelles depuis des années, ainsi que les militaires chargés de leur escorte. Dès le mur franchit les péripéties s’enchaineront avec un bon rythme.
Et une constatation s’impose, c’est en Ecosse que le soleil apparaît pour la première fois dans Doomsday. Les scènes à Londres sont nocturnes et pluvieuses, l’Ecosse elle a un cycle jour nuit normal, pour autant que c’est possible dans un film. Le temps comme reflet de la dystopie qui s’est emparée de l’Angleterre ? Non pas totalement. L’Ecosse avec ses punks anthropophages et son état de guerre permanent entre factions n’est pas le paradis sur terre. L’ambiance nocturne et pluvieuse sont plutôt les symboles visuelles d’une forme de déchéance morale du Royaume-Uni, la conséquence du péché originel qu’a constitué l’abandon de l’Ecosse. Au nord du mur ils ne sont pas meilleurs qu’au sud mais ils sont plus vivants que les malheureux qui s’entassent à Londres, dans la crasse et la pauvreté.
Quand on revoit Doomsday après le printemps 2020 et son virus couronné il y a ce petit frisson de se dire que ce qui paraissait auparavant comme une exagération scénaristique, la mise sous quarantaine de l’Ecosse, ne parait plus aussi aberrant. Ce qui n’est pas la plus rassurante des nouvelles si l‘on prend le temps d’y réfléchir.
Doomsday est un bon divertissement qui ne s’excuse pas de l’être, un film d’action qui fonce tout droit sans se perdre dans d’inutiles circonvolutions scénaristiques, une balade rondement menée par un réalisateur qui est manifestement concerné par ce qu’il fait et une distribution qui parvient à rendre crédible des personnages plus grands que nature. Dans ce domaine mention spéciale à Malcolm McDowell qui parvient à faire exister son personnage de Kane dans toute sa folie malgré une courte présence à l’écran. Neil Marshall retrouvera l’Ecosse pour le péplum Centurion, sortit en salle en 2010, qui raconte l’histoire d’une poignée de légionnaires romains qui doivent se frayer un chemin au milieu de Pictes révoltés et hostiles. N’y aurait-il pas comme une inspiration commune dans le film de science-fiction et le péplum ?
R.V.
Plus de post-apo ? Lire la chronique du filme Bounty Killer et de la série Blood Drive.