Planant et lourd à la fois
Et si le vrai dirigeable de plomb n’était pas le groupe de Page-Plant-Bonham-Jones mais cette bande de hippies attardés et leur psyché anar et si lourd qu’on se demande comment il décolle
Le psychédélisme et le durcissement du son dans le rock de la fin des années 60 ont fait place nette en ce début d’années 70 lorsque Space Ritual d’Hawkwind arrive dans les bacs des disquaires ou des magasins d’électro-ménager qui vendaient des disques. La place pour d’un côté le prog rock, une approche plus intello, plus grandiose aussi, une quête de respectabilité enfin, le trio Emerson, Lake & Palmer donnera en toute modestie sa version des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorski et de l’autre pour un monstre bicéphales comme ces aigles dont on raffole dans les Balkans avec à ma gauche le hard rock et à ma droite le heavy metal pour une approche tout aussi grandiose mais plus brutale, violente et sexy. Le prog et le binôme hard et heavy ne sont pas séparés par des frontières impénétrables et une forme d’émulation naîtra souvent entre ces rejetons du psychédélisme. Les adolescents, qui n’étaient pas alors des gens sérieux, eux ne juraient que pour le glam rock et ses stars plus ou moins androgynes Bowie et T‑Rex (David Bowie et Marc Bolan deux anciens mods qui remettaient en avant l’importance du look en support à de bonnes chansons) sans compter une poignée de seconds couteaux qui squatteraient les classement des meilleurs ventes en toute impudence et décontraction et qui eux aussi auraient une grosse influence sur le punk (Sweet, Slayed et la fille de la bande Suzi Quatro). C’est schématique et un peu grossier mais telles étaient les tendances du rock alors que naissaient les années 70. Schématique et grossier car dans les interstices se nichaient un groupe comme Hawkwind. Lourd et avec son agressif qui n’avait rien à envier à Black Sabbath, Led Zeppelin ou Deep Purple, Hawkwind est aussi une formation psychédélique planante qui envoie ses auditeurs dans l’espace sans jamais sonner comme un groupe prog respectable, nous sommes aussi loin qu’on peut l’être de ce qu’était alors devenu Pink Floyd.
Trêve de généralités édifiantes et didactiques et venons‑en à cet alien qui se présente devant nous sous une pochette qui divinise la plastique avantageuse de Miss Stacia, la danseuse qui accompagnait le groupe sur scène. Space Ritual est un album enregistré en concert à Liverpool et à Brixton les 22 et 30 décembre 1972. Ce double album live, invention des années 70, est sorti en 1973, année de The Dark Side of the Moon et nous sommes très loin des angoisses existentielles mises en musiques dans le plus gros succès commercial de Pink Floyd. Hawkwind était une horde de barbares de l’espaces, la fanfare déglinguée d’un seigneur de guerre d’après la Catastrophe, des visions d’un future entre rêve et cauchemar, des soudards issus de la scène psychédélique londonienne de Landbroke Road avec pour camarade des gens comme les Pink Fairies et leur monumental Do It. Des babas un peu plus teigneux, du moins dans leur musique. Des cousins anglais au MC5.
Hawkwind existe toujours aujourd’hui et je ne m’aventurerai pas dans l’histoire chaotique de cette formation, il y a une page wikipedia qui détaille toutes les formations du groupe. Sur cet album on entend Dave Brock (vocaux/guitare), Nick Turner (saxophone/flute/vocaux), Del Dettmar (synthétiseur), Dik Mik (sons électroniques), Lemmy (basse/vocaux), Simon King (batterie) et Robert Calvert qui déclame ses textes sur le moelleux tapis de couinements électroniques produits par ses collègues. Cette mouture d’Hawkwind dont la constante est Dave Brock est marquée par la présence en son sein de Ian « Lemmy » Kilmister qui après s’être fait sacquer irait former un petit groupe nommé Motörhead, un nom emprunté à la chanson éponyme, donc, que le bon Lemmy avait écrite pour Hawkwind avant que les incompatibilités d’humeur et de drogues ne fassent se séparer le bel équipage. Le défunt Lemmy, guitariste de formation si l’on peut dire, après des débuts dans les années 60 avec les Rocking Vikars, une légende du circuit des clubs du nord de l’Angleterre, était monté à la capitale car il avait de plus grandes ambitions que le statut de vedette locale, de star régionale. A Londres il fit le dealer d’amphétamines et le roadie de Jimi Hendrix. Il passa à la basse pour entrer dans le groupe Sam Gopal, déjà un groupe de rock psychédélique peu porter sur les chansons pastorales ou le flower power - le glaçant « The Watcher » ou le très noir « Dark Lord ». Evidemment il ne savait pas jouer de cet instrument et développerait avec les moyens du bord une technique bien à lui. Sa basse grondante propulse les compositions du groupe dans l’éther. S’il dynamise cette musique Lemmy ne fait pas tous.
Le titre de ce double live ne ment pas, il ne trompe personne sur la marchandise, oui il sera question d’espace, une odyssée dans les étoiles, et il y a du rituel dans ces titres qui se fondent les uns dans les autres, qui mutent et vous conduisent à la transe. Les titres s’étirent et s’enchainent dans un continuum qui doit énormément aux interventions bruitistes et électroniques de Dik Mik comme aux synthétiseurs archaïques, des trucs analogiques pas toujours commodes à manipuler, de Del Dettmar. Hawkwind fascine par ce qu’il ajoute à son rock primal pour l’emmener ailleurs. De l’électronique mais aussi les interventions de Nick Turner à la flûte et au saxophone ou les déclamations de Robert Calvert qui sont intercalées entre les chansons et qui saisissent par la force de leur évocation comme par la noirceur du discours. La vraie réussite est qu’à aucun moment cela sonne arty parce qu’il y a la pulsation démoniaque d’« Orgone Acumulator » (clin d’œil à Willhelm Reich) et le riff saccadé d’« Upside Down ». On ne s’ennuie pas car les chansons issues de Doremi Fasol Latido, leur précédent album studio, ou jusqu’alors inédites sont autant de secousses telluriques, de batailles furieuses, d’orgies soniques. La transe n’est jamais loin quand la musique se fait moins douce que lancinante mais Hawkwind prend aussi un malin plaisir à secouer public et auditeurs en durcissant soudainement le ton, en accélérant le tempo.
R.V.