La vie des autres
Strange Days de Kathryn Brigelow est un film de SF noir, violent, sensoriel et sexy véritable réjouissance pour les yeux
Synopsis : Pour pouvoir aller dans l’espace Vincent est devenu Jerome avec la complicité de ce dernier. Un meurtre à Gattaca risque cependant de dévoiler l’usurpation d’identité et détruire les rêves de Vincent.
La science-fiction au cinéma, même dans ses productions les plus grands publiques, est souvent une question d’esthétisme très poussée. Il y a une façon commode de communiquer à son audience que le monde de cinéma qu’on lui offre à voir est mauvais, on assombrit l’image et on donne un aspect bien crade aux décors voire aux costumes. Tous les films de science-fiction ne sont pas pour autant Blade Runner ou Dark City et lorsque cette noirceur n’est pas justifiée par l’univers proposé cela relève d’une facilité d’écriture un brin paresseuse. Bienvenue à Gattaca n’est pas un monde plus plaisant que celui proposé par Blade Runner, il se peut même qu’il soit en fait bien pire, le film d’Andrew Niccol (Lord of War) se distingue de celui de Ridley Scott par son aspect propre, lisse, lumineux et anti spectaculaire. Bienvenue à Gattaca est une dystopie aseptisée, un cauchemar eugéniste immaculé et une bulle de mélancolie suave.
Cette propreté c’est celle d’une société qui pratique un eugénisme doux et (c’est évidemment le pire) consenti. Ce n’est pas un gouvernement qui impose un eugénisme marqué de racisme comme cela fut le cas aux XIXème et XXème siècles mais les parents qui volontairement veulent le meilleur pour leurs enfants. S’ils ne font pas ce choix toutes sortes de pressions sociales les guideront sur la bonne voie. Dans le flash-back qui fournit le contexte du film et les bases de ce que l’on doit savoir sur le personnage principal, Vincent/Jerome (Ethan Hawke), un employé d’une compagnie génétique (Blair Underwood) qui a pris sur lui d’enlever en plus des risques de maladies génétiques et autres tares congénitales des risques comme l’alcoolisme ou la violence argue qu’il faut donner « le meilleur départ possible » aux enfants dès leur naissance. Dans cette société où l’ADN n’a plus aucun secret, le patrimoine génétique est un viatique qui permet de réaliser ses rêves, pour peu que l’on ait les bons gènes, ou un boulet que l’on traine parce que l’on est le fruit de l’amour de ses parents et qu’un teste réalisé à peine sorti du ventre de sa mère prédit une mort précoce. L’eugénisme est ici l’outil de prédilection d’une société hyper compétitive qui par peur de l’aléa se réfugie dans le déterminisme génétique.
Dans Bienvenue à Gattaca, tout est beau, harmonieux depuis les décors jusqu’aux acteurs puisque pour donner la réplique à Ethan Hawke on retrouve Uma Thurman (Irene) et Jude Law (Jerome/Eugene). Les vétérans Ernest Borgnine (La Horde sauvage, New York 1997, Tant qu’il y aura des hommes…), dans le rôle d’un technicien de surface et dans une moindre mesure Gore Vidal dans le rôle du directeur Josef, grand patron de Gattaca qui a la tête dans les étoiles et est un fervent promoteur de l’eugénisme qui lui permet d’augmenter la qualité de son recrutement, sont avec leurs trognes comme les souvenirs d’une époque révolue. Ce sont les deux seuls personnages âgés à apparaître à l’écran, ils sont aux opposés de l’échelle sociale, mais ils sont bien seuls au milieu des visages jeunes qui parcourt les couloirs de Gattaca.
De façon significative et contrairement à ce que peut bien prétendre le personnage et narrateur incarné par Ethan Hawke, sa société n’a pas remplacé les anciens clivages sociaux elle les a durcis grâce à la génétique. Cette société est toujours aussi fortement genrée et les blancs sont toujours au somment de l’échelle sociale. Il n’y a pas beaucoup de femme à Gattaca et qu’on nous pardonne notre distraction si nous nous fourvoyions mais il n’y a pas beaucoup de personnes de couleur non plus. Les parents d’enfants génétiquement conçus ont évidemment reproduit les stéréotypes de leur époque. Dans la scène précédemment évoquée qui illustre la conception du frère de Vincent, Anton (Loren Dean), le même généticien, un homme noir, ne peut retenir un sourire quand, passant la liste des critères des parents bien intentionnés (Jayne Brook et Elias Koteas), il relève celui de la peau claire du bébé à naître. C’est évidemment fugace, mais ce sourire vaut tous les longs discours convenus et dénonciateurs sur cette société. Plus profondément encore on apprend qu’Irene, le personnage d’Uma Thurman, bien qu’elle-même appartenant à cette élite génétiquement améliorée ne l’est cependant pas assez pour atteindre ses objectifs, faire partie d’une mission dans l’espace. Une discrimination par l’argent semble toujours à l’œuvre dans ce système. Des parents fortunés auront des enfants avec des meilleurs gênes que les rejetons des classes moyennes. Ce n’est pas exprimé explicitement mais semble-t-il Jerome Morrow (le personnage de Jude Law) est habitué à un train de vie haut de gamme hors sa seule activité connue est celle de champion de natation hors tout indique que le garçon à le genre de goût de luxe qu’on acquiert pas vraiment dans les bassins olympiques.
Bienvenue à Gattaca n’est pas un film tract, un long métrage qui assène un message, si les spectateurs ne sont pas assez grands pour comprendre ce qu’il y a de pourri dans ce monde-là ce n’est pas le réalisateur Andrew Niccol qui va les prendre par la main et expliquer de façon didactique en quoi cette société est effroyable. On suit au plus près le personnage d’Ethan Hawke qui n’est pas l’un de ces rebelles dont une certaine fiction contemporaine aime à nous rebattre les oreilles, il n’est pas un genre de Spartacus, ou mieux encore de Neo - qui est le modèle de tous ces braves héros en lutte contre des systèmes tellement outrageusement caricaturaux dans ce qu’ils ont de mauvais qu’on se demande comment ils ont pu être mis en place ou simplement advenir. Le personnage d’Ethan Hawke est un transfuge, il triche pour pouvoir atteindre son rêve d’espace et pour obtenir, à titre individuel, un peu de liberté personnelle. Par contre il ne pense pas à remettre en cause les structures eugénistes de la société.
Comment lutte-t-on contre un système qui n’est pas imposé par la force brute mais par l’amicale pression des pairs ? Comment faire face aux injonctions du monde du travail qui recherche les meilleurs candidats ? Comment font des parents résister à un système scolaire qui refuse les enfants nés de l’amour pour des raisons d’assurance ? Le narrateur le reconnait il n’y a officiellement pas de discriminations à l’embauche contre ceux nés du hasard mais cette discrimination existe bien elle est juste tacite, implicitement admise par tous, y compris ceux qui en sont les victimes. Par ailleurs dans le détail il y a les invalidés ne semblent pas tout à fait libre de leurs mouvements et ils doivent être enregistrés. Le système n’impose pas l’eugénisme mais il fait tous pour rendre aussi difficile que possible la vie de ceux qui ne sont pas passés par la case éprouvette au moment de leur conception.
|
L’une des bonnes idées d’Andrew Niccol, qui est aussi l’auteur du scénario, est de donner une approche intime, très personnel à son histoire. Tellement personnel que c’est sur la toilette quotidienne et très méticuleuse du personnage principal que s’ouvre Bienvenue à Gattaca. Une séquence générique hyperstylisée qui est à l’image de ce qui vient. Un film personnel car il est aussi économe en personnages, il ne manque pas de figurants mais tout est centré sur ce Vincent qui devient Jerome. Un personnage fluctuant qui est défini par sa volonté d’aller dans l’espace. En regard les deux autres personnages masculins d’importances sont comme des frères pour le héros, des doubles potentiels. Il y a Anton, celui avec lequel il partage des parents et une enfance tumultueuse, le petit dernier conçut avec l’aide de la science devenant le favori, celui qui est digne de porter le nom du père et l’autre Jerome celui que son patrimoine génétique exceptionnel prédisposait à de grandes choses mais qu’un accident de voiture, détail d’une vie humaine que la génétique ne peut prévoir, à laisser hémiplégique, et qui loue son identité.
Bienvenue à Gattaca est l’illustration qu’une dystopie n’a pas besoin d’être repeinte en noire pour offrir un monde inquiétant. Avec son esthétique léchée ce long métrage mélancolique annonce l’excellent Ex_Machina, ce sont deux films cauchemardesques qui sont d’autant plus inquiétants que la menace est insidieuse et n’est pas dépourvu de charmes. Lorsqu’arrive le générique Bienvenue à Gattaca nous laisse avec cette question et si plus qu’un retour de l’Etat totalitaire du XXème siècle c’était ce genre de despotisme doux et séduisant, tellement raisonnable même, qu’il nous fallait redouter ?
R.V.