sCIENTIST wINS THE WORLD CUP
Coupe du monde de DuB
Un album de Dub du début des années 80 qui, malgré son titre, n'a pas grand rapport avec le foot, hormis son année de parution, en 1982 la coupe du monde avait lieu en Espagne, mais qui a tout à voir avec les derniers feux d'un genre sur le point de mourir en Jamaïque.
En 1982 le Dub, cet art du remix jamaïcain, achève sa première décennie d'existence. Il est proche de disparaître de son île natale balayé par le raz-de-marée du reggae électronique dit digital qui domine aujourd'hui encore les dancehalls jamaïcains mais le Dub a eu le temps de conquérir la Grande-Bretagne avec des producteurs comme Mad Professor et l'incontournable, dès lors qu'on en vient au reggae anglais, Dennis Bovell et de commencer une longue expansion mondiale mais c'est une autre histoire. L’histoire que nous raconte par contre cette collection de dubs c’est celle de la collaboration du producteur Henry "Junjo" Lawes qui a travaillé avec des artistes comme le deejay Yellowman et le chanteur Barrington Levi avant de lancer les carrières de star du Dancehall le séducteur Beenie Man et le très méchant Ninjaman, des Roots Radics, un groupe de studio, des musiciens à l'époque incontournables, et de l'ingénieur du son/mixeur Scientist.
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Scientist, Hopeton Overton Brown pour ses parents et l'état civile, fut le protégé du maître ès Dub King Tubby à partir de la moitié des années 70 avant de voler de ses propres ailes à la fin de cette décennie en rejoignant l'équipe de Junjo Lawes. Les remix de Scientist sont plus austères et moins baroques que les versions dubs qu'on peut entendre chez un Lee Perry, ils sont aussi plus minimalistes que ceux de King Tubby. Ce dépouillement annonce peut-être le futur son digital ou du moins avec son austérité a-t-il en quelque sorte préparé l'oreille des Jamaïcains à des formes moins chaleureuses, plus durs et menaçantes que ce qui se pratiquait dans la décennie précédente. Bob Marley est mort l’année d’avant et l’on mesure combien la musique qu’enregistraient et qu’écoutaient les jamaïcains d’alors était éloignée de celle qui à l’étranger était vendue sous l’étiquette Reggae.
Ce Junjo Lawes Presents Wins The World Cup qui est d'abord sorti sous le titre Scientist Wins The World Cup a changé de nom par suite de démêlés judiciaires opposants Scientist à la maison de disque Greensleeves. On passe sur les détails mais cette histoire est entre autres révélatrice du rôle particulier des bidouilleurs jamaïcains qui n'entre pas dans les cases préétablis de la musique occidentale, c'est ainsi que Scientist découvrit au tribunal que son travail pourtant crucial de remix ne valait pas grand-chose au regard du droit U.S. et qu'ils passaient après ceux du producteur et du contrat lien ce dernier à la maison de disque Greensleeves.
L'édition double CD de 2016 qui est donc sortie sous le titre Junjo Lawes Presents Wins The World Cup est très intéressante car elle ajoute aux dubs présents sur l'album d'origine six autres dubs et une seconde galette avec les versions originales chantées, Johnny Osbourne qui pause sa voix sur 10 des 21 titres bonus se taille ici la part du lion, et des versions avec D.J. qui permettent de goûter encore plus pleinement la saveur de ces mix alternatifs et de se vautrer dans cette façon qu'à la musique jamaïcaine de recycler les titres en vogues. Cette musique produite pour être diffuser dans les dancehalls de l'île est depuis le début des années 70 une économie du recyclage basée sur le concept de riddims (l'accompagnement musical qui fait la part belle à la basse et la batterie) qui sont réenregistrés avec différents chanteurs ou deejays (avec de nouvelles paroles il ne s'agit pas de simples reprises). Le marché hautement concurrentiel est saturé par un riddim à la mode avant d'être chassé par un autre qui saturera à son tour le marcher générant lui aussi une floppée de versions et ainsi de suite.
Les titres présents ici sont loin des clichés du reggae international à la Bob Marley, les dubs ont comme une mélancolie qui tranche avec l'idée que l'on se fait communément du reggae. Les rythmiques syncopées sont un peu raides, pas autant que dans le Digital Reggae à venir mais elles ont un tranchant qui n'existait pas dans les années 70 à l'époque du Reggae Roots. Le Dub de Scientist conserve néanmoins ce côté fantomatique fortement lié au genre avec les apparitions et disparitions des voix et des instruments mais il n'y a pas se côté ludique des remix de King Tubby. Si le Rosksteady était le reflet jamaïcain de la Soul des années 60, le Reggae fut lui le pendant jamaïcain du Funk et de la Soul des années 70 alors le Reggae des années 80, le Dancehall se devait d'être une réponse insulaire au Rap. Les choses ne sont évidemment pas aussi mécaniques et les Jamaïcains trouvent toujours une voie singulière cependant le Rap et le Reggae de cette époque partage, en regard des musiques qui les ont précédés un commun aspect austère (du moins dans la musique), une forme de dépouillement refléter dans la relégation des cuivres à un rôle de figurant, et une raideur rythmique qui imposait un groove bien différent.
R.V.