Un livre people
Quelques mots sur l’œuvre et son auteur avant d’aller plus loin. Kenneth Anger est un cinéaste expérimental et d’avant-garde, admiré par des gens aussi médiocres que David Lynch ou Martin Scorcese. Amateur d’occultisme Anger est aussi le fondateur de l’Eglise de Satan.
Le livre Hollywood Babylone a connu une histoire éditoriale compliquée. Après une parution initiale en France, une première mouture écrite à des fins lucratifs plus que littéraire, le livre est finalement édité aux Etats-Unis dans une version remaniée et rallongée. C’est cette dernière version, longtemps inédite en France a finalement été publiée par les Editions Tristram. |
Grandeur…
A Hollywood on fabrique des films et aussi des scandales. Kenneth Anger nous raconte comment Hollywood, usine à fantasmes s’il en est, est devenu une Babylone moderne dans l’œil complaisant d’une certaine presse et nous livre une collection de scandales qui défrayèrent la chronique entre les années 20 et l’aube des années 60.
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Hollywood Babylone ne manque pas d’ambiguïté. Il y a une délectation certaine à la lecture de ces histoires courtes présentées dans l’ordre chronologique qui ont la saveur des commérages et le parfum du ragot. Les héros de ce livre sont, parmi bien des noms parfois oubliés, Marlene Dietrich, Charlie Chaplin, Errol Flynn, Rudolph Valentino… et il y est question de mariage avec une toute jeune femme qui tourne à l’aigre, d’accusation d’agression sexuelle, de drogues, et d’homosexualité ou bien encore de meurtre et de suicide mystérieux avec de beaux cadavres dans de beaux décors. L’histoire que Kenneth Anger nous raconte est moins une histoire secrète de ce qu’il nomme la « colonie du cinéma » qu’une histoire des rapports complexes que cette fabrique à rêve entretien avec la morale bourgeoise et l’écart qu’il y a entre les personnages du grand écran et la vie des acteurs qui leur donnait chère. D’autant que les studios aimaient à inventer une vie pour ses acteurs et actrices. La règle du pseudonyme s’est imposé jusque tardivement et John Wayne ne s’appelait pas plus ainsi que Maryline Monroe. La première vamp du cinéma, Theda Bara était vendue au public états-unien comme une créature exotique aux origines prestigieuses, une franco-arabe lascive ce qui était loin d’être le cas. Theda Bara était une fille de Chillicothee, Ohio, et pour ses parents elle s’appelait Theodosia Goodman.
Après-la première guerre, pendant ce qu’on appelle outre-Atlantique les roaring 20’s et que par chez nous nous nommons plus sobrement les années folles, Hollywood brassait déjà beaucoup d’argent et les premières stars du cinéma pouvaient en quelques films acquérir une fortune considérable qu’une vie de travail n’aurait pas permis d’amasser à des acteurs souvent issus d’un milieu très populaire.
Gloria Swanson gagnait 900 000$ par an gracieusement payé par la Paramount. A la même époque le sport professionnel encore balbutiant payait des clopinettes les stars du baseball, le sport le plus populaire, et Kenneth Anger nous livre le budget annuel en parures, parfums et vêtements de Miss Swanson qui s’élevait à 125 000$. Les fêtes étaient grandioses et la « colonie du cinéma » vivait dans le plus grand luxe. Les fêtes, le week-end venu, étaient d’autant plus grandioses que le travail hebdomadaire pouvait être éreintant, ce sont ces conditions de travail qui entrainèrent certaines stars du grand écran dans la drogue.
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… et misères
La première vedette déchue du cinéma hollywoodien fut le comique populaire Roscoe Arbuckle, surnommé Fatty, le grassouillet en raison de sa corpulence. Son histoire est un précipité de tous ce que certains trouvaient de détestable à Hollywood. Arbuckle n’était pas un intellectuel ou un homme raffiné et il était devenu très riche très rapidement. Tombé depuis dans l’oubli, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique, Fatty Arbuckle était alors une vraie vedette de la comédie, le plus connu des poulains de Mack Sennett. La mort à la fois tragique et sordide de Virginia Rape, une starlette en devenir, en 1921 des suites d’un viol perpétré vraisemblablement par l’enfant chéri de la comédie fit la une des journaux. Voilà que le personnage que tout le monde aimait, un acteur familial et inoffensif se muait sans crier gare en satyre de la pire espèce. De ce contre-pied la carrière d’Arbuckle ne se releva pas. En cassant son image Arbuckle abimait celle bien proprette de Hollywood et la presse à scandale lors de cette histoire compris qu’il y avait de l’argent à se faire.
Ce scandale est le prototype d’autres à venir mettant en scène des vedettes adulées prises dans de très sales affaires. Vingt ans plus tard, en 1942, en pleine Seconde guerre mondiale ce fut Errol Flynn, héros du cinéma d’aventure (Les aventures de Robin des Bois étaient sorties l’année précédente) qui se vit accuser de détournement de mineur, mais cette fois Flynn ne vit pas sa carrière brisée.
Le livre décortique avec minutie les raisons pour lesquels à partir des années 20 Hollywood et scandale sont devenus synonyme. Le petit monde du cinéma était coincé entre une presse à scandale qui a vite compris le profit qu’elle pouvait tirer des heurs et surtout des malheurs des stars du grand écran et la pression moralisante des groupes religieux chrétiens unis dans une grand mouvement œcuménique pour protéger les vertueux américains du vice et de la débauche, filmés ou non, en provenance de la Côte Ouest.
Déclaration d’amour
& portrait en creux
Hollywood Babylone c’est tout et d’autres choses aussi. C’est une déclaration d’amour au cinéma en dépit d’Hollywood et de ses dirigeants. Kenneth Anger consacre un chapitre à Erich von Stroheim et à ce qui se passait, ou pas, lors du tournage de ses films à huis-clos. La rumeur parlait d’orgies décadentes. La rumeur parlait aussi de scène filmée si osée qu’elle ne pouvait qu’être censurée et les négatifs détruits.
Ce livre qui n’est pourtant pas très long est aussi un portrait en creux des Etats-Unis comme un pays tiraillé entre la cupidité et la pudibonderie. C’est enfin un livre qui traite d’homophobie et de la question du genre le trop efféminé Rudolph Valentino qui pourtant fait tourner la tête des femmes. Ces deux mariages finirent mal et à chaque fois les heureuses élues étaient lesbiennes. Kenneth Anger glisse à ce sujet un long éditorial publié dans un journal de qualité, le Chicago Tribune, qui est une charge d’autant plus violente contre Rudy qu’elle est basée sur la peur d’une inversion des rôles et surtout d’hommes qui ne sont plus des hommes, l’éditorialiste allant jusqu’à préférer être dirigé par des femmes viriles que par des hommes qui ne le sont plus.
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Hollywood Babylone peut se lire du début à la fin où être picoré dans le désordre, au hasard, en laissant le diable choisir. L’écriture est ramassée et rassemble une suite d’anecdotes et de portraits plus ou moins mordants. Tout n’y est sans doute pas vrai, le livre critique la presse à scandale tout en sautant lui-même des deux pieds dans le sensationnalisme et le racoleur. La photographie de Jayne Mansfield en couverture et celle de l’accident de voiture qui lui fatal en offres de beaux exemples, racolage pour l’une et sensationnalisme pour l’autre.
Hollywood Babylone en montre moins que ce à quoi on pourrait s’attendre et l’imagination du lecteur à toute la place requise pour qu’elle se fasse son film avec les héros et les salauds de son choix.
Enfin parce qu’il est temps de conclure, ce court ouvrage est illustré par des photographies d’époque pour découvrir ces personnages que le lecteur non cinéphile ne connaît sans doute pas. Alors ne vous priver pas ce livre ouvre des portes sur un monde aujourd’hui englouti à redécouvrir.
R.V.
R.V.