Watchchmen :
Pourquoi la série
de Damon Lindelof
n'est pas Bonne
Attendue avec une certaine excitation Watchmen la série télé sur HBO signée par Damon Lindelof n’est pas, loin de là, au niveau du comic book dont elle prétend écrire la suite
Par principe, parce que la vie est trop courte et que les journées ne sont pas assez longues et parce que nous sommes des gentils, ici, à La Malle aux merveilles, et aussi par pragmatisme nous préférons ne pas perdre notre temps en mauvaises critiques alors qu’il y a tant de bonnes choses dont on ne parle pas assez ici comme ailleurs. Mais voilà, avant la diffusion de Watchmen quand nous pensions que ce serait une bonne série, nous vous avons promis sur Facebook une critique, la voilà et elle ne sera pas élogieuse. Cette chronique négative c’est l’histoire d’une déception.
Cette chronique a aussi été écrite parce qu’il y a beaucoup (trop, à notre goût) de gens qui se sont extasiés devant cette série qui à nos yeux ne méritent pas le millième de ces dithyrambes. Il arrive qu’il y ait de la mauvaise foi dans une critique négative. Il arrive aussi que des bonnes critiques ne soient pas exempts de mauvaises fois non plus, c’est le cas pour Watchmen, qui n’est définitivement pas, même avec les standards de la dernière saison de Game of Thrones, une bonne série. Plus personnellement, je me suis fadé ces neuf épisodes et rien n’y a fait (sauf un peu l’épisode 3) je ne suis pas rentré dans cette histoire. Watchmen est la plus mauvaise série produite par HBO. Ce n’est qu’à de trop rares moments que je suis parvenu à me défaire de mon incrédulité mais pas assez longtemps pour ne pas me retrouver devant le simple constat qu’il n’y a presque rien à sauver de ce pénible, ingrat et vain effort pour succéder à Alan Moore.
Pour les garçons pressés et les filles impatientes, pour les lectrices et lecteurs qui n’ont pas envie de se fader la laborieuse démonstration en quatre points qui suit, qu’ils ne perdent pas de temps avec Watchmen parce que la série de 2019 qui rudoie, bastonne et met minable le spectacle médiatique des super-héros c’est The Boys (Amazon Prime Video).
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Pour les autres il y aura évidemment des spoilers mais si vous lisez la suite c’est que vous avez déjà vu la série. Vous êtes prévenus. Dernière mise au point liminaire je (votre humble serviteur) n’avais, de prime abord, rien contre Damon Lindelof, l’homme derrière ce projet de série parce qu’hormis Lost (ce qui commence à dater) j’étais passé par négligence non par malveillance à côté de son œuvre à commencer par The Leftovers, sa précédente série pour HBO. J’étais intrigué par l’idée casse‑gueule de donner une suite au comic book créé au mitan des années 80 par Alan Moore et Dave Gibbons (chroniqué ici).
Que faire des Gardiens ?
Le ver était dans le fruit dès le départ, une forme de malentendu. Quand une série Watchmen est annoncée les questions se multiplient : aura-t-on droit à une série qui adapte la bande‑dessinée ? quelle rapport cette œuvre audiovisuelle entretiendra-t-elle avec le film de Zack Snyder ? Puis nous apprîmes que la série produite par HBO (une chaine tant aimée qui tend depuis peu à nous décevoir, qu’on songe au dénouement précipité de Game of Thrones) serait une suite, trente‑quatre ans après les faits, une histoire qui nous serait contemporaine mais dans un monde très différent du nôtre, celui des aventuriers costumés. Là encore rien d’alarmant, découvrir ce que sont devenus les personnages qu’on a appris à aimer même si leurs actions ne sont pas toutes moralement confortables aurait pu être intéressant. Enfin et c’est là où certains pouvaient commencer à nourrir quelques inquiétudes c’est en apprenant que Lindelof et son équipe allaient se concentrer sur de nouveaux personnages et centrer son action sur Tulsa. Mais là encore bon gars, j’étais prêt à donner sa chance au produit.
Ce n’est pas un mauvais choix en soit, apporter du sang neuf à des personnages qui l’âge aidant ne seraient plus complétement en mesure de jouer les justiciers masqués cependant à la fin des neuf pénibles épisodes de Watchmen il faut bien admettre que la greffe n’a pas prise. On se retrouve face à une œuvre bâtarde qui détourne sa source de son cours naturel de façon artificielle et forcée. Le cas du Dr Manhattan est le plus flagrant exemple de cette violence faite au comic (et on ne parle pas de son changement de race, l’usage que cette série fait de l’antiracisme sera traité plus loin), mais de la façon dont ce personnage au pouvoir quasi divin, rompait avec l’humanité pour partir dans l’espace et ne jamais revenir las qu’il était d’être pris dans l’écheveau des vies humaines. C’est à ce stade que nous laissons le grand bleu à la fin du comic book, la perspective d’un Dr. Manhattan errant dans les espaces infinis du cosmos avait quelque chose de grandiose et de triste en même temps. Triste mais beau et évocateur. Lindelof plus terre‑à‑terre ne permet pas à Manhattan d’aller plus loin qu’Europe, une lune de Jupiter, où cet être tout puissant crée un semblant de vie copiée sur le couple de riches Anglais philanthropes qui l’avaient accueilli lui et son père alors qu’ils fuyaient les persécutions nazies. Adrian Veigt, alias Ozymandias, (Jeremy Irons) vanne le Dr. Manhattan sur son manque d’imagination ce qui est injuste car ce sont les auteurs de cette série qui ne débordent pas d’imagination. Non seulement Dr. Manhattan revient sur Terre mais en plus c’est pour y mourir dans un grand geste sacrificiel parce que semble-t-il celui qui ne voulait plus être prisonnier de l’écheveau des vies humaines a recommencé à s’en faire pour l’humanité. Pourquoi ? Et bien parce que !
Ce Dr. Manhattan petit bras n’est pas le pire de ce que Lindelof et ses co-auteurs font subir aux anciens personnages de la bande-dessinée. Tout aussi raté est la façon dont les trois décennies écoulées pour Adrian Veigt et Laurie Blake (Jean Smart vue dans la très bonne série Legion) semblent, les rides mises à part, avoir à peine été vécues par ces deux personnages. Adrian est resté à bouder dans son repère polaire avant d’être exilé par Dr. Manhattan sur Europe, Laurie est devenue agent du FBI dans des circonstances qu’on aurait aimé connaître et une femme qui vit seule, sans amis ni famille. Que dire, enfin, de la disparition de Dan Dreiberg, le deuxième Hibou, qu’on quitte à la fin du comic book en cavale et en couple avec Laurie et qui n’est mentionné qu’au détour d’un dialogue sans jamais apparaître à l’écran, il serait en prison apprend-on fugacement. Où ? Comment ? Pourquoi ? Et bien parce que. C’est semble-t-il sans importance pour les cerveaux derrières ce programme. Pourtant son aéronef en forme de hibou a été adopté par les forces de l’ordre, d’où une apparition clin d’œil dans le premier épisode de l’engin. Mais ces easter eggs qui ont égayé internet et permis à certains de faire des vidéos Youtube indigeantes, ne sauraient remplacer un bon travail d’écriture sur les personnages.
Si vous souhaitiez en apprendre plus sur ce que sont devenus les Gardiens après le coup d’éclat d’Ozymandias avec sa pieuvre géante vous serez bien déçus. Première d’une longue série de déceptions. Mais Lindelof et son équipe d’auteurs n’ont que faire de ces personnages dont ils ont hérité et qui semblent plus une gêne qu’autre chose. Watchmen le comic book a contribué à amorcer pour le pire et pour le meilleur une aire déconstructiviste et de réflexion introspective sur les super-héros avec des personnages plus adultes et moralement plus ambigus, avec aussi et plus fondamentalement une question sur la nature du super‑héros, de ses actions et de ce que cela impliquerait pour une société que de permettre ce genre de comportements. Cet héritage Lindelof ne veut pas ou ne peut pas l’assumer, il est très heureux de capitaliser sur un nom prestigieux (ce qu’il a déjà fait avec le Star Treck qu’il a produit et que J.J. Abrams a réalisé) sans pour autant se couler dans ce moule préétabli et n’en doutons pas trop étroit pour cet esprit supérieur.
Bon d’accord, les vieux personnages ne sont pas bien traités mais les nouveaux, ceux spécialement créés pour la série s’en sortent-ils mieux ? Pas vraiment en fait tant les auteurs obsédés qu’ils sont par faire passer leur message (le racisme c’est mal, surtout quand il touche les noirs) qu’ils en oublient d’écrire de véritables personnages avec un peu d’épaisseur.
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Qui trop embrasse mal étreint
Les personnages principaux de la série sont Angela Abar/Sister Night (Regina King) et dans une moindre mesure son grand‑père Will Reeves (Louis Gossett Jr.). Le second n’est là que par intermittence, un épisode sur deux même s’il a droit à un épisode flash-back qui a fait son petit effet en révélant que le Juge Masqué était en fait un homme noir - la bonne blague pour un personnage décrit dans le comic book comme ayant approuvé, avant Pearl Harbour, les « activités du IIIème Reich de Hitler ». Quant à la première elle doit se battre pour du temps de présence à l’écran au milieu d’une distribution pléthorique constituée de personnages qui ne se connaissent pas, Angela et Will n’échappent pas à cet état de fait, qui interagissent à peine entre eux et qui parfois disparaissent comme ils sont venus. Looking Glass (Tim Blake Nelson), un policier masqué collègue de Sister Night et manière de pendant positif du très vilain Rorschach, c’est un blanc repentant, disparait pendant trois épisodes mais pas de soucis, la chose est téléphonée il est de retour pour le grand final.
La série Watchmen multiplie les personnages ce qui empêche de creuser vraiment les caractères et les aspirations de chacun ou les conflits entre les uns et les autres. Là où Alan Moore racontait l’histoire d’un petit groupe de personnages aux connections claires et bien établies, avec un passé commun fut‑il conflictuel. Ces gens n’étaient pas des inconnus les uns pour les autres même s’ils pouvaient se détester cordialement, au moins étaient‑ils liés. Damon Lindelof reste dans l’esquisse de personnages qui sont avant tout instrumentaux et fonctionnels. A ce petit jeu Angela Abar est la grande perdante car elle ne bénéficie pas de toute l’attention qu’elle mériterait en tant que protagoniste principal. Sa vie de couple ne sert qu’à amener le choc de la révélation que le Dr. Manhattan était en fait revenu sur Terre et qu’il avait pris l’apparence d’un homme noir, Cal Abar (Yahya Abdul-Mateen II), celui-là même dont elle partageait la vie. Un choc tout relatif puisqu’elle le savait déjà et que cette révélation arrive trop tard pour que le spectateur puisse se l’approprier et en faire quelque chose lorsque survient la mort d’un Dr. Manhattan.
Difficile d’éprouver de la compassion pour des personnages qui ont des identités doubles qui ne servent qu’à introduire des twists sans véritables conséquences puisque les protagonistes de l’histoire sont des coquilles vident. Le sheriff Judd Crawford (Don Johnson) et son épouse, Jane (Frances Fisher), qu’on voit dans le premier épisode faire amis‑amis avec les Abar, Judd est même une figure paternelle de substitution pour Angela, sont en fait d’horribles racistes membres d’une société secrète, Cyclope, dont l’inefficacité absolue le dispute à une longévité aberrante qui laisse pantois. Pourquoi les Crawford sont-ils, en dépit des apparences cultivées par la série elle-même, des racistes ? Et bien parce que ! Parce qu’ils sont blancs et fortunés. Parce qu’on nait raciste. Parce qu’on est raciste de père en fils.
La série Watchmen, et c’est un signe des temps, est obsédée par la lignée, l’héritage - les uns héritent des souffrances de leurs ancêtres et les autres des préjugés raciaux, ou de leur intelligence… Foin de culture quand l’ADN peut tout, la nature est reine et rien ne surpace le déterminisme génétique. La très brillante, c’est sa seule qualité tant le personnage est détestable, Lady Trieu (Hong Chau) est la fille qu’Adrian Veigt ne se savait pas avoir (grande scène de malaise quand la mère de Trieu s’auto-insémine avec le sperme que son patron gardait dans son bureau. Pourquoi ? Et bien parce que !). Dans Watchmen on fait des tests ADN pour connaitre ses origines et peut-être touché de l’argent au titre des réparations dues aux afro-descendants comme on dit. Une idée rigolote aurait été de voir un personnage blanc indemnisé parce que dans son arbre généalogique se balade un ancêtre noir. Notre époque est bien plus obsédée par la question des origines qu’elle n’est prête à l’admettre et Watchmen est à fond dans ce déni.
Ce qui nous amène à la façon dont Watchmen parle du racisme et se sert de l’antiracisme comme d’un bouclier bien commode contre la critique, car comment faire la fine bouche devant une œuvre qui s’attaque avec courage à la question raciale aux Etats‑Unis. Oui c’est encore une des grosses différences avec l’œuvre imaginée par Moore, non pas l’aspect politique son recentrement sur les Etats-Unis d’Amériques et eux seuls. Watchmen, la série télé ne parle pas du monde, ne serait-ce qu’en arrière-plan, mais des Etats-Unis et de rien d’autre, on ne saura donc pas si l’U.R.S.S. s’est effondrée ou si dans ce 2019 alternatif la Chine est devenue une puissance économique. Là où le comic book était un macrocosme, la série n’offre qu’un pauvre microcosme, et une déception de plus.
L’antiracisme comme arme de destruction massive contre la critique
C’est en entendant le journaliste et écrivain Ta-Nehisi Coates que Damon Lindelof a trouvé le clou sur lequel il allait taper au cours d’une saison de neuf épisodes. Il ne s’est hélas trouver personne pour lui dire que ce serait peut-être un peu court jeune homme et qu’on aurait pu dire ô Dieu bien des choses en somme avec ce formidable outil narratif qu’est une série télé. C’est le revers d’une certaine fiction yankee, le high concept nous amène souvent à ce genre de baudruche, autour de neuf heures c’est beaucoup quand on a fort peu à dire. Quand il a été décrété, par-delà les énormes défauts de Watchmen, qu’il s’agissait d’une série poil‑à‑gratter (comme on put l’entendre dire sur France Culture) car le racisme est le péché originel des Etats-Unis, la cause de tous les maux de ce pays, un mal renouveler à l’identique ou presque de génération en génération tout doute sur la qualité de ce programme serait un doute sur le message qu’il prétend porter. D’où le grand consensus dans Téléréma et Les Inrocks pour expliquer que nous tenons-là la série de l’année et pourquoi pas de la décennie voire un chef‑d’œuvre. Je ne sais pas ce que ces gens prennent comme drogue avant d’écrire leur papier mais je veux la même.
Le problème n’est pas que Watchmen parle du racisme aux Etats-Unis, il y a des œuvres politiques de valeur et la bande‑dessinée de Moore et Gibbons n’était pas apolitique, mais que Lindelof et les siens le fassent avec une bêtise confondante d’un bout à l’autre est consternant. Le racisme et plus généralement l’intolérance à ce qui est différent sont au cœur des X-Men et personne n’y a jamais rien trouver à redire. Mais une noble cause ne fait pas par essence une bonne fiction.
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Le racisme c’est mal mais uniquement quand celui-ci se limite à cibler des noirs et qu’il se part des oripeaux de la société secrète Cyclope, un simili Klu Klux Klan, qui participa au massacre de Tulsa (ce qui implique que la vraie divergence entre notre monde et celui des Watchmen ne résident pas dans le premier héros costumé, le Juge masqué, mais dans l’existence d’une société secrète d’extrême-droite, le complotisme a parfois du bon), qui a aussi noyauté dans les années 40 la police de New York, ce qui pousse Jim Reeves à devenir le Juge masqué, et qu’on retrouve enfin dans le présent de la série derrière les ploucs en colère du Septième Kavalerie - oui avec un « k » parce que non vraiment il n’y a rien à faire Watchmen ne sera pas subtil ou léger. On ne saura pas pourquoi dans le paradis progressiste du président Robert Redford les white trash (ordures blanches) continuent de vivre dans des trailers parcs, où ils sont la cible privilégiée de la police de Tulsa. Oui pourquoi ? Et bien parce que ! Il nous suffit de savoir que ces blancs sont des racistes impénitents, et que Sister Night n’a qu’à rentrer dans une caravane, arrêter (enlever) un type au hasard pour que celui-ci soit un membre du Septième Kavalerie qui évidemment parlera sous la torture. Une torture hors-champs parce que c’est ce que font les bons dans les séries américaines. Le scandale de Jack Bauer jadis dans 24 était que ce héros torturait face caméra au mépris de la plus élémentaire pudeur.
Pourtant si l’on voulait pinailler, et je suis d’humeur pinailleuse, on pourrait se dire que notre brave Lindelof et son pool de scénaristes divers qui pensent tous pareil se sont pourtant pris les pieds dans leur tapis progressiste. C’est que malgré toutes les bonnes intentions antiracistes de Lindelof un esprit mal tourné pourrait voir dans Watchmen une œuvre qui recycle les pires stéréotypes racistes qu’on pouvait trouver dans la fiction occidentale à la charnière des XIXème et XXème siècle quand il était question de la « race jaune ». Car il s’avère que la grande machination de la série ce n’est pas le complot minable des suprématistes blancs mais celle ourdie par Lady Trieu qui en secret manipule le Cyclope et le Septième Kavalerie afin de s’accaparer pour elle-même les pouvoirs de Dr. Manhattan. Qu’il est savoureux de voir au nom de la lutte contre la racisme des auteurs ravivés l’image de l’asiatique fourbe et manipulateur, même en le mettant au féminin. Lady Trieu comme une version arrogante, start-uppeuse et viscéralement déplaisante de cette vielle barbiche de Fu-Manchu !
Fourbes mais aussi cruels, voilà ce qu’étaient les asiatiques dans les fictions populaires d’il y a un gros siècle et c’est ce que sont souvent les asiatiques dans Watchmen de Lindelof et sa bande. Il y a dans l’épisode qui suit celui du flasback sur le passé de Will Reeves, une suite de vignettes qui nous rappelle cette cruauté stéréotypée. Il y a ces policiers Vietnamiens qui pratiquent les exécutions extrajudiciaires et cette directrice d’un orphelinat qui est d’une méchanceté caricaturale. Le pire est atteint avec cette scène durant laquelle les souvenirs d’Angela Abar se mélangent à ceux de son grand-père. Angela revit simultanément l’attentat qui tua ses parents, le terroriste est un Vietnamien, et le massacre de Tulsa auquel survécut Will plus de six décennies plus tôt. Les deux événements sont montés en parallèle et établissent un lien entre la nature de ces deux actes violents mettant sur un pied d’égalité les massacreurs blancs et le poseur de bombe asiatique. Dans tous les cas les noirs sont victimes même quand ils appartiennent, comme le père d’Angela, à une armée d’occupation.
Après une saison de Watchmen il est patent que le racisme aux Etats-Unis est une question bien trop sérieuse et intéressante pour être laissée entre les mains de Lindelof. Et c’est là qu’on touche du doigt ce qu’il y a de plus détestable dans cette version de Watchmen, cette sensation d’une occasion manquée.
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Une occasion manquée
Alors que le Marvel Cinematic Universe cannibalise Hollywood pour le plus grand bonheur de Disney il y avait une pertinence à raviver Watchmen. Alors que les super‑héros dans leur forme audiovisuelle sont plus que jamais présents sur nos petits comme nos grands écrans une série Watchmen aurait pu être l’occasion de s’affronter à ce phénomène en lui faisant subir une déconstruction comparable à ce que Moore a fait endurer aux super-héros de papiers. Il n’en est rien, tout à son idée de mettre en image les thèses de Ta-Nehisi Coates sur la question des réparations pour l’esclavage et la ségrégation, Damon Lindelof en a oublié ce qu’il y avait au cœur du comic book. Ici pas question de remettre en cause les super-héros et leurs actions ce que faisait la B.D. quand Ozymandias/Veigt relevait que la plus grande réussite de ses collègues était de ne pas avoir pu l’empêcher d’agir. Au contraire la série Watchmen affirme qu’il y a bien de l’héroïsme dans les super-héros, du moins quand ils ont la peau noire. Le sacrifice de Dr. Manhattan, devenu un homme noir et donc capable d’empathie, est un geste christique du meilleur tonneau. La judéo-christianisation de Watchmen est un autre glaviot craché à la face de Moore. Pour ceux qui douterait de cet aspect christique on rappellera que Dr. Manhattan marche même l’eau ! Quand je vous dis que toute la symbolique de cette série se distingue par sa légèreté. Ah, que seraient nos amis d’outre‑Atlantique sans une bonne grosse louche de bondieuserie.
Mettre des noirs dans la peau de super-héros, surtout quand on arrive après le film Black Panther, n’est pas d’une audace folle mais le reflet de l’air du temps auprès des élites progressistes états-uniennes. Watchmen de Damon Lindelof ne déconstruit pas la figure du super-héros et c’est à peine s’il la critique. Sister Night est pleinement justifiée dans ses actions, ses agissements sont couverts par les forces de l’ordre, elle est littéralement une auxiliaire de la police de Tulsa. Dans la bande dessinée écrite par Alan Moore il y avait une pointe d’absurde dans l’apparition des Minutemen, le premier groupe de super-héros, en faisant du Juge masqué un homme noir qui a une bonne raison de se costumer pour chercher à faire tomber Cyclope cet aspect incongru, bizarre et au final mercantile de se déguiser tombe nous laissant avec une bonne veille mythologie super héroïque des plus convenues. Le Juge masqué d’un homme excentrique aux motivations troubles et à l’identité mystérieuses devient un vigilante banal, avec son trauma enfantin et une juste cause qui justifie tout jusqu’à l’homicide.
Alors que Moore faisait évoluer son récit dans un monde gris et laissait à ses lecteurs la liberté de se forger leur opinion sur les implications morales des actions d’Ozymandias ou de la rigidité binaire de Rorscharch, Lindelof et sa clique imposent leurs réponses aux spectateurs. A la fin les méchants sont punis, Veigt est arrêté alors qu’il a encore une fois empêché une catastrophe pendant que Reeves, dont on sait qu’il a tué le sheriff Crawford, repart libre. Pourquoi ? Et bien parce que ! C’est qu’il y a des morts justifiées et justifiables. Lady Trieu et les suprémacistes blancs meurent aussi et tout indique qu’Angela Abar recevra une partie des pouvoirs du défunt Dr. Manhattan. Youpie ! Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si ça ce n’est pas un bon happy end des familles je ne sais pas ce que c’est qu’une bonne et belle fin à l’américaine.
C’est sans doute l’ultime déception de la série Watchmen. Alan Moore était capable de donner à un personnage comme Rorschach qui lui était à peu près opposé en tout une voix propre, une épaisseur et une présence qu’on sera bien en peine de trouver dans cette série, même auprès de son héroïne. Watchmen est une bande dessinée qui passe les décennies et demeure une œuvre intelligente et sensible. Watchmen la série n’a pour elle que la bêtise paresseuse des gens qui se sont auto‑persuadés qu’ils étaient dans le camp du bien et qu’à ce seul titre cette série qui chie sur la création d’Alan Moore, était à voir.
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Pour finir je recommanderai en plus de The Boys, la plus rare et malheureusement annulée série Powers pour ceux qui auraient envie de plus d’introspections sur le genre des super‑héros. Quant à ceux qui aiment la comédie je les orienterai vers The Tick, une autre série Prime Video.
R.V.