Ma vie avec Johnny
Pas qu’une légende du destroy. Pas qu’un toxico au destin tragique. Johnny Thunders c’est quand même l’histoire d’un beau foirage
Once Upon A Time… In Hollywood, commence sur une chanson que je connaissais avant même d’entrer dans la salle du cinéma, Treat Her Right. Je ne connaissais pas cette version (l’originale ?) Mais je la connaissais quand même parce que Johnny Thunders, le héros de cet article exercice d’admiration déraisonnée, l’avait reprise sur Copy Cats son album de reprises en duo avec Patti Paladin. Copy Cats, le dernier album studio officiel de Johnny, est sorti il y a 31 ans (1988) et comme le film de Tarantino c’est une rêverie nostalgique, un retour dans le paradis perdu des souvenirs de jeunesses, vers les terres bénies de l’enfance et de l’adolescence. Pour Johnny Thunders son paradis à lui ce sont les années 50 et 60, Elvis Presley, Screaming Jay Hawkins et Dion, le chanteur de doo wop italo‑américain. Ce n’est pas la première fois que je pense à Johnny Thunders en voyant un film de Tarantino. La première c’était dans Boulevard de la mort pour lequel le réalisateur a déterré Baby It’s You, je n’irai pas plus loin, Quentin n’a peut-être jamais entendu parler de Johnny Thunders et cela ne ferait que de nous éloigner de notre sujet qui tient en une question, pourquoi pas loin de trente après son décès faut-il continuer à chanter les louanges du guitariste des New York Dolls, le chanteur et guitariste des Heartbreakers et même sa carrière solo qui au milieu du chaos de sa vie de junkie réserve de beaux moments ?
En 1988, à la sortie de Copy Cat, j’ai 6 ans et je ne sais rien de toute cette histoire. Pour moi tout commence donc entre novembre et décembre 1996, Rock & Folk mit cet automne-là en vente un hors-série pour fêter ces trente ans et la revue de presse de France Inter rapporta la nouvelle et je me fis offrir l’objet que j’ai toujours. Ce hors-série je l’ai lu et relu et c’est de sa faute si j’aime encore aujourd’hui Lynyrd Skynyrd (le groupe vu dans un long article au travers les yeux du chef de la sécurité un ancien du Viet-Nam qui avait fort à faire avec la bande d’alcoolos qu’il chaperonnait). C’est à cause de ce même hors-série que je continue de penser que Johnny Thunders est l’un des plus grands rockers de sa génération. Les uns et les autres sont comme les deux pôles du rock U.S. des années 70, d’un côté des sudistes au look à chier mais qui se la jouait technique, une bande de péquenauds bas du front à la philosophie des plus rustiques et de l’autre une bande de gouapes new‑yorkaises qui finiraient manager par un Malcolm McLaren qui les feraient tourner dans le Vieux Sud en cuir rouge et drapeau de l’U.R.S.S. Comment une idée aussi géniale ne pouvait-elle pas mal tournée ? Le sud des Etats-Unis était une lubie pour McLaren puisqu’il y trainerait cinq ans plus tard, à peine, les Sex Pistols, ce qui ne fut pas non plus la meilleure des idées.
A l’automne 1996 la messe était déjà dite, ite missa est, le Johnny était déjà mort depuis plus de cinq ans. Et ce n’est que rétrospectivement que je compris que So Fine, la chanson des Guns’N’Roses sur Use Your Illusion II, était un hommage au New‑Yorkais signé par un Duff McKagan éploré qui honorerait encore la mémoire du défunt en reprenant sur Spaghetti Incident « You Can’t Put Your Arms Around A Memory », une chanson aussi bonne que son titre est long, la grande réussite de la carrière Johnny Thunders, ce qu’il a fait de plus beau et de plus émouvant. Une ballade poignante qui a elle seule mérite que Johnny Thunders ne croupisse pas dans les limbes.
Il est temps de remonter le temps, Johnny Thunders est né le 15 juillet 1952 à New York. Pour ce qui fait office d’état‑civil dans l’état de New York il s’appelait John Anthony Genzale Jr. De probables origines latines qu’il masque en jouant les Italiens. Johnny est un gars du Queens et un adolescent des années 60, on ne peut qu’imaginer ce que c’est que d’avoir une dizaine d’années et de se prendre pour la première fois dans les oreilles les Beatles, les Rolling Stones, toute la British Invasion en fait. Surtout qu’il n’y avait pas que les Britanniques pour émoustiller la jeunesse, il y avait aussi la Motown ou les Girls Group, au premier rang desquelles se trouvaient les mauvaises filles des Shangri-Las, des New-Yorkaises reines gouailleuses du mélodrame adolescent qui influencèrent tant les punks et plus près de nous Amy Winehouse sur son album Back To Black.
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Ses obsessions 60’s ne sont pas sans réminiscences des 50’s et il y a toujours un peu de blues dans la musique de Johnny Thunders. Ce sont ses influences qu’on entend partout dans la musique de Johnny Thunders à commencer par celles qu’il fit au sein des New York Dolls. Les Dolls, le premier gros groupe (tout est relatif) de la carrière de Johnny Thunders furent d’abord pour moi une affaire de look avant que d’être une question de musique. Et d’aucuns pourraient affirmés qu’il est peu question de musique avec les New York Dolls, ceux-là ont évidemment tort, même si l’attitude dilettante et l’amateurisme de branleurs revendiquée avec force donnent parfois cette impression. Une affaire de look, une question de styles. L’article du hors‑série de Rock & Folk, était illustré de photos avec cinq types en drag queen rock c’était à la fois beau et étrange, remuant et fascinant une provocation qui les rattachait au glam rock mais ils n’étaient pas comme les Anglais qu’ils fussent du genre arties (T-Rex, Bowie et Roxy Music) ou du genre hard rockers prestement maquillés et couverts de strass (Slade, Sweet…) ils avaient pour eux ce côté mauvaises têtes, délinquants juvéniles et à leur façons ils étaient follement beaux. L’article ne parlait pas directement de Johnny mais était un papier à caractère autobiographique co-écrit par Jerry Nolan pour The Village Voice, le batteur des New York Dolls puis des Heartbreakers, le groupe qui accompagnait Johnny Thunders pendant la période punk. Nolan parlait beaucoup de fringue et les photos qui illustraient ses propos étaient une leçon d’élégance rock.
La musique ne vint qu’après et dans le désordre. D’abord grâce à un live semi officiel et avec un son même pas pourri, ce qui n’est pas la norme pour ce genre de disques en concert. Enregistré en 1984 il captait sur scène l’une des multiples reformations des Heartbreakers avec le personnel d’origine. Au côté de Johnny Thunders il y avait le vieux complice, Jerry Nolan, Walter Lure (guitare) et Billy Rath (bass). Ce Live at Lyceum devant un public londonien qu’on imagine ravi de voir que le groupe était en forme, se balade dans le répertoire de Johnny depuis les New York Dolls jusqu’à ces sorties les plus récentes, un répertoire dispersé sur une grosse décennie d’enregistrement.
Il y eut aussi cet album acoustique, Hurt Me, avec pour l’édition CD le E.P. It’s So Cold qui électrisait le tout. Hurt Me est un disque folk suranné et déplacé en ces années 80 même si c’est un peu, mais vite fait, son Nebraska à lui. Le choc, pour moi en ces années de formation, ce fut l’écoute de L.A.M.F., l’unique album studio de Johnny Thunders & The Heartbreakers qui bien que contemporains n’avaient rien à voir avec le quasi homonyme mais très Côte ouest Tom Petty & The Heartbreakers.
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L.A.M.F. est le disque de quatre New-Yorkais qui débraqués à Londres avec la ferme intention de devenir les rois du punk anglais. Malcolm McLaren aurait préféré une reformation des New York Dolls mais il ne put faire traverser l’Atlantique qu’au deux cinquièmes de la légendaire formation. L.A.M.F. est un incontournable du punk et un classique du rock mais un classique méconnu et oublié par à peu près tout le monde. Pourtant l’album est une collection de quatorze titres qui n’ont pas pris une ride, des grenades rock qui aurait éparpillé la concurrence façon puzzle si… Si la maison de disque Track Records (celle dix ans plus tôt des Who et de Jimi Hendrix Experience) n’avait fait faillite et si les membres du groupe ne s’étaient pas embrouillés pour des histoires d’enregistrement pas assez bien produit. Il faut entendre « Chinese Rocks », une histoire d’héroïne, une chanson que ce bon Johnny a un peu volée aux Ramones, pour comprendre la force et la rage du groupe. Les Ramones enregistreraient finalement « Chinese Rocks » en 1980, trois ans plus tard, une éternité en ces temps où tout allait très vite, mais il n’est pas interdit par pur plaisir d’esthète de lui préférer la version de Johnny Thunders & The Heartbrekers qui n’avaient pas les limitations techniques des Ramones. L.A.M.F. est avec le premier album des New York Dolls (« Personality Crisis », « Frankenstein », « Pills », la reprise de Bo Diddley, « Trash » …) et son premier en solo So Alone, le tiercé gagnant des incontournables d’une discographie officielle qui n’est pas la plus volumineuse de l’histoire du rock.
So Alone sort en 1978, un an après L.A.M.F. et les deux albums font la paire même si Johnny en solo se lâche plus et propose un album plus varié mais jamais foutraque. Il reprend les Shangri-Las, « Great Big Kiss », Otis Blackwell, pour une version démentielle de « Daddy Rollin’ Stone » avec Phil Lynott de Thin Lizzy et Steve Marriott des Small Faces et aussi en ouverture « Pipeline » l’instrumental surf rock des Chantays. Johnny joue du blues lent « Downtown » et il enregistre pour la première fois « You Can’t Put Your Arms Around A Memory », mais on ne vous refait pas l’article vous savez pour ceux qui l’ignorait que c’est une grande chanson. Le chanteur guitariste vanne aussi Johnny Rotten (« You need an escort to take a piss… ») sur le méchant et jouissif « London Boys », un titre réponse au « New York » des Sex Pistols qui était elle-même une chanson vacharde et méchante. Le personnel pour l’enregistrement de « London Boys » inclus Steve Jones et Paul Cook qu’on imagine trop heureux de pouvoir régler eux aussi, comme ça en passant, quelques comptes avec leur ancien chanteur. So Alone voit aussi passer Chrissie Hynde, une autre américaine expatriée à Londres, le saxophoniste John « Irish » Earle qu’on entend çà et là chez Ian Dury, The Clash (pour l’album London Calling) et Patti Palladin bientôt chanteuse distanciée pour le projet The Flying Lizards.
Les années 80, la toxicomanie aidant furent comme on dit en dans de scie et des années 90, Johnny Thunders ne verra rien. Il est néanmoins et pas que pour le meilleur hélas l’une des influences du glam metal mais c’est une affaire qui ne concerne pas notre Johnny il était ailleurs. D’ailleurs sa postérité est plus à chercher du côté d’un Mike Ness, le meneur de Social Distortion que du côté de Mötley Crüe, même si ce groupe offrait une version très années 80 des New York Dolls. Johnny Thunders finit par mourir à la Nouvelle-Orléans, parce que la vie de junkie n’est pas des plus douces. La Nouvelle-Orléans est un bon décor à fantasme pour une mort tragique nimbée d’un halo de romantisme noir. Johnny Thunders est un rocker qu’on ne devrait pas déjà oublier et pas simplement parce qu’il est mort jeune. On laisse à d’autres ces histoires de beau cadavre, il n’y a rien de beau dans la mort.
Allez, pour le plaisir et avant de partir, ajoutons que pendant près d’un an il exista sur cette terre un groupe qui s’appelait Gangwar. C’était en 1978 et Johnny Thunders faisait équipe avec un de ses héros de jeunesse Wayne Kramer. L’ex-guitariste du MC5 qui était fraichement sorti de prison. L’affaire tourna court et aucun enregistrement officiel ne vit le jour mais à qui sait chercher il trouvera des enregistrements en direct de cette équipée sauvage et aura de quoi songer à tout ce que Gangwar aurait pu devenir…
R.V.