Le Noel supreme
Des Supremes au sommet de leur gloire des années 60, les mirifiques productions de la Motown et un album aussi beau que les voitures que Détroit produisait à la chaîne en ce temps-là
Les fêtes de Noël sont une affaire de nostalgie, personnelle, le souvenir des noëls de l’enfance, et collectif comme par exemple quand on se plonge dans ces années 60 qui furent la jeunesse de la société de consommation. Avant qu’on ne se soucie d’environnement, de pollution et de réchauffement climatique. Consommer était alors un acte positif, si l’on ose, émancipateur, Moulinex se targuait de libérer la femme. La part rationnelle et raisonnable en chacun sait que la nostalgie repeint en rose le passé mais en écoutant ce Merry Christmas enregistré pour et avec The Supremes de Diana Ross l’illusion est parfaite.
Nous sommes en 1965, la Motown résiste fièrement à la British invasion. Les artistes de Berry Gordie sont les seuls à pouvoir dénier aux Beatles et à leurs compatriotes britanniques les sommets des tops états-uniens et même s’il est bon de considérer que la Motown faisait de la soul, la vérité était que, pour plaire au plus grand nombre, la Motown produisait à la manière des firmes automobiles de Détroit, là où tout à commencer, des merveilles pop afro-américaines, certes mais surtout pop.
Nous sommes en 1965, Martin Luther King est toujours en vie et il n’était pas aberrant pour les noirs aux Etats-Unis d’être raisonnablement et prudemment confiants dans l’avenir. Le son de la Motown est la bande son de cette Amérique combattante et pleine d’espoir.
Nous sommes en 1965 et l’année précédente sortait The Beach Boys' Christmas Album alors que deux ans plus tôt arrivait dans les bacs A Christmas Gift for You from Phil Spector, Merry Christmas des Supremes n’a rien à envier à ces pierres angulaires de la pop des années 60. C’est même l’éclatant témoignage d’un passage de relai. La pop américaine grand publique d’alors c’était la Motown, plus Phil Spector, son wall of sound était devenu désuet en cette décennie ou tout allait très vite, ni The Beach Boys.
Merry Christmas ne lésine pas sur les rythmes jazz (« My Favourite Things », « White Christmas »…) et ne se départit pas d’un groove classieux sur tous les morceaux même les titres lents. C’est un album d’un classicisme éprouvé qui fait retentir çà-et-là ce qu’il faut de clochettes - l’accessoire des bons albums de Noël. Il y a aussi ces nappes de violons qui donnent de l’ampleur aux morceaux ou de la harpe sur White Christmas qui ouvre l’album. Le son si particulier et à nul autre pareil des productions Motown n’est pas complètement négliger pour autant on entend son énergie communicative sur « Little Bright Star ». La perfection n’est pas de ce monde mais on n’en est pas trop avec ce Merry Christmas la conjonction idéale des chansons, d’un son, de musiciens auxquels on ne saurait trop rendre grâce et d’un trio de vocalistes qui était au sommet. Parfois même le plus athée des individus (comme votre serviteur) est bien obligé de reconnaître la grâce quand il en est le témoin.
The Supremes ne furent pas les seuls artistes Motown à enregistrés des douceurs sonores pour Noël. Stevie Wonder grava Someday At Christmas (1966), sur lequel on peut l’entendre s’essayer au latin pour l’« Ave Maria » de Schubert.
R.V.