Ils reviennent
Forever Black est le premier album studio de Cirith Ungol depuis 1991 et loin de l’effort poussif de vieux types qui feraient mieux de faire autre chose c’est une claque magistrale qu’inflige les Calirforniens
Lorsque sort en 1991 Paradise Lost, Cirith Ungol est un groupe lessivé qui n’a pas réussi à percer. En marge des courants majeurs du Metal de l’époque de l’autre côté de l’Atlantique la musique du groupe lourde, agressive et lente, plus une marche funèbre qu’une folle cavalcade façon Thrash Metal et pas non plus l’ode à l’hédonisme (ou à la débauche) du Glam Metal les membres de Cirith Ungol jette l’éponge. Les problèmes de maison de disque n’aidèrent pas à maintenir le groupe à flot.
Morte la formation devint une légende, une de ces perles cachées que les passionnés se plaisent à débusquer. La résurrection à lieu en 2015 et après la tournée des festivals devant des fans certes moins nombreux que ceux de Cardi B (il faut dire qu’ils n’ont pas vraiment des trombines d’actrices porno nos vétérans) mais fervents dont l’album en concert I’m Alive est le témoignage le groupe sort presque dans la foulée ce Forever Black, toujours sur Metal Blade, un album inédit le premier depuis vingt-neuf ans !
Si It’s Alive fut l’occasion d’un dernier coup d’œil dans le rétro Forever Black regarde vers l’avant et la route à parcourir. Ce nouvel effort est la périlleuse tentative de montrer que cette musique au fusin, pont entre le Heavy Metal des années 70 et notre époque, est toujours pertinente et ne manque pas d’avenir. Avec les mêmes musiciens que sur l’album en public, ce qui saisit d’emblée, à la première écoute, c’est la cohésion des membres de Cirith Ungol. Robert Garven est un batteur solide, pas des plus exubérant ni démonstratif, il donne la pulsation des chansons et c’est le pas du Destin qui résonne dans ses coups de grosse caisse. Sa batterie est le cœur d’une créature qui hante les ténèbres et qu’on préfère ne pas voir, dussions-nous en mourir. La guitare basse est entre les mains de Jarvis Leatherby, le petit nouveau, le petit jeune de l’équipe, et c’est peu dire qu’avec son instrument il contribue à la noirceur des chansons. Ses lignes de basses sont profondes et creusent de profonds canyons dans lesquels grouillent une vie innommable. Avec le batteur il offre une solide base aux guitares de Jim Barraza et Greg Lindstrom. Les deux hommes riffent comme des déments et soloïsent comme des possédés. Le Metal, c’est ce qu’il a gardé du rock, est une affaire de guitares et avec ses deux guitaristes Cirith Ungol ne déroge pas à ce noble héritage.
Au milieu de ce chaos sonore Tim Baker est un chanteur qu’on croirait revenu de l’Enfer et qui s’égosille pour se faire entendre d’une humanité qui n’en n’a rien à foutre. Ce qui est bien dommage pour les masses bêlantes mais tant pis pour elles. Baker n’est pas un vocaliste virtuose et virevoltant, il n’est pas un succédané de Ronnie James Dio, il n’est pas non plus un épigone d’Ozzy Osbourne avec sa voix grinçante de goule. Baker est un imprécateur de fin du monde ou un chef de guerre qui exhorte ses troupes avant la bataille et leur dit que même si tout est contre eux la voie héroïque est bien celle qu’ils empruntent. Il vitupère, tonne et harangue ses légions du chaos.
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Les compositions de Cirith Ungol ne sont pas que des masses de granites, d’imposants monolithes noirs. Elles savent ménager de la place pour des silences, des baisses de tentions. Musique évocatrice et narrative chaque chanson est un court métrage, ou une nouvelle. Cirith Ungol est depuis ses origines une affaire de lectures. Les inspirations littéraires ne manquent a commencé par l’inévitable Elric de Melniboné de Michael Moorcock en couverture, une peinture de Michael Whelian, seul, si ce n’est un corbeau, l’anti-héros tourmenté est au milieu d’une terre désolée avec son épée qui donne son nom à la chanson « Stormbringer ». Cette power ballad poignante car foncièrement tragique dédiée à une épée maudite à une saveur douce amère qui reste longtemps en bouche. C’est l’un des temps fort de Forever Black. Moorcock n’est pas la seule influence de ceux qui ont été prendre leur nom chez Tolkien et son col de l’araignée où Shelob à son repaire. Cirith Ungol chante depuis ses débuts la fantasy et rend ici hommage avec « The Frost Monstreme » à Fritz Leiber, l’un des pères états-unienne de ce champ littéraire, et aux aventures de Fafhrd et du Souricier Gris (un jour ailleurs sur ce site nous vous parlerons de tous ça). « The Frost Monstreme » est un titre dont les couplets avancent à la rame, sur un rythme saccadé. Les paroles dépeignent un univers de glaces, un enfer blanc sans merci. Au milieu du morceau le pont et ses solos est comme une bouffée d’espoir bien vite rattrapée par l’implacable réalité « Icy breath that heralds death ».
Profondément cinématographique Forever Black s’ouvre sur « The Call » un court instrumental qui sert de rampe de lancement au galvanisant « Legions Arise ». Si Wagner donne envie d’envahir la Pologne cette chanson donne envie de marcher au milieu de la légion des morts et de semer la destruction pour le bienfaiteur qui les a ramenés à la vie. C’est le titre le plus enlevé de Forever Black et donc la parfaite entrée en matière. Accessoirement commencé l’album de la résurrection avec une chanson sur un retour à la vie (fusse-t-elle celle d’une armée de morts-vivants) est un choix judicieux. Un zeste d’humour noir ? Une parabole ?
« And the blind will lead the blind », l’entêtant refrain de « The Fire Divine » un titre comme une réminiscence de Blue Öyster Cult. Voix qui harmonisent sur le refrain, double attaque de guitares comme aux plus belles heures des années 70 ! Cirith Ungol ne pastiche ni ne fait un morceau à la manière du légendaire BÖC. Les Californiens épissent leur composition avec ces condiments qui rendent immortelles leurs devanciers New Yorkais. La reste de l’album ne relâche pas les auditeurs. L’existentiel « Fractus Promissum », les promesses non tenues et le temps qui passe, l’installation de la pourriture, la décrépitude. Ce n’est pas pour rien que Cirith Ungol est tenu pour un des précurseurs du Doom. Le cauchemardesque « Nightmare » avec son rythme rampant, ses riffs lancinants et son entêtement à vous mettre mal à l’aise. « Before Tomorrow » est un autre titre qui ne respire pas l’espoir pourtant au milieu de son désenchantement il y a une courte éclaircie, un solo de guitare aigu qui tranche avec la lourdeur et les graves plombantes du reste de la chanson. Et il y a enfin le clou du spectacle « Forever Black », tout un programme. Un riff de guitare se déploie en ouverture du morceau avant d’être rejoint par la section pour un rythme marteler. Tim Baker chante comme un prophète maudit. Dans sa dernière ligne droite le morceau accélère. Une charge héroïque et désespérée, dernière occasion pour les guitaristes de briller. Tout est perdu ? Il nous reste le panache.
Cirith Ungol pour son retour signe une collection d’hymnes ramassés et concis. On louera donc ses vieux briscards, ses vieus soldats des guerres électriques pour ne pas avoir cherché à combler les décennies en nous livrant quelque double album mal‑inspiré et empli de vide, plein de titres inutiles ou pas au niveau. Forever Black n’est que muscles, pas de gras, nerfs et une ossature solide. C’est un monstre affuté que Cirith Ungol a lâché sur le monde en 2020. Hélas hormis chez nos voisins Tudesques (où il est monté brièvement à la 11ème place du Top Album !) le monde s’en fout mais ce n’est pas grave. Forever Black contentera les fans et fera de nouveaux adeptes ravis parmi les curieux aventureux qui porteront une oreille attentive à cet album hargneux aux ténèbres si attrayantes.
R.V.