Une maison d'enfer
Pour ceux qui sont à la recherche d’une série pour se faire vraiment peur il y a La maison hantée sur Netflix. Vous êtes prévenus.
La maison hantée est la création du réalisateur et scénariste Mike Flanagan qui s’est déjà fait remarquer avec des longs métrages comme Ne t’endors pas, Pas un bruit ou Jessie une adaptation de Stephen King, un auteur avec lequel il n’en a pas fini puisqu’il travaille, à l’heure où ces lignes sont écrites, à l’adaptation de Dr. Sleep, la suite de Shining. Mark Flanagan s’est imposé au cours des dernières années comme l’un des hommes à suivre en matière d’épouvante et cette mini-série est, tuons le mystère, une réussite. Venu du cinéma il réalise les 10 épisodes de cette série qui ne devrait avoir qu’une seule saison. Si d’autres saisons étaient quand même programmées elles raconteraient d’autres histoires avec d’autres maisons hantées et bien sûr d’autres familles. Ce qui ne serait peut-être pas une bonne idée.
Cette série est une adaptation assez infidèle mais pour la bonne cause du roman La maison hantée de Shirley Jackson. Les infidélités à la source littéraire s’explique d’abord par la nécessité de remplir les dix épisodes de la série. Ainsi les inconnus invités dans une maison hantée pour déterminer la cause des étranges événements qui s’y déroulent sont remplacés dans la série par les membres survivants de la familles Crain, le père, ses trois filles et ses deux fils mais les caractéristiques des personnages du roman sont transférés à ceux de la série. On retrouve la figure du rationaliste qui ne croit pas au surnaturel, celle de la femme douée de pouvoirs extrasensoriels etc. Ce dispositif permet de donner de la profondeur aux personnages en les montrant enfants et adultes, il génère également des conflits plus profonds entre les protagonistes qui se débattent avec un passé lourd et difficile. L’autre raison des infidélités de Flanagan au roman de Shirley Jackson est que ce livre a déjà par deux fois été adapté au cinéma. Si Hantise (1999 de Jan de Bont), la dernière transposition en date, est un horrible plantage la première adaptation signée Robert Wise, intitulée La maison du Diable (1963), est un bijou d’angoisse que Mike Flanagan n’avait pas envie de refaire mais auquel il rend hommage dans certains détails du décor et dans l’ambiance générale.
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Mike Flanagan donne, dans les limites d’un genre pourtant balisé celui de la maison hantée, une leçon de terreur comme on en a rarement vu aussi bien au cinéma qu’à la télévision. La maison hantée fait peur, pas parce qu’il y a ça et là quelques jump scares ou que ces fantômes sont impressionnants (même s’ils le sont la plupart du temps) mais parce que nous nous intéressons aux personnages à ces sœurs, à ces frères et à ce père à jamais marqués au fer rouge par ce qu’ils ont vécu et vu dans une maison hostile et impitoyable.
Cette priorité donnée aux personnages se retrouve dans la structure même de la série qui privilégie une narration subjective centrée sur le point de vue de ces personnages. Au long des épisodes certaines scènes se font échos, on les voix aux travers des perspectives de plusieurs personnages. Les cinq premiers épisodes, les plus émouvants, racontent les faits passés à travers la subjectivité de chacun des enfants devenus adultes, allant de celui qui n’a rien vu ou presque à celle qui en a trop vu mais sans parvenir à comprendre. L’ultime séquence du cinquième épisode est non seulement glaçante d’effroi mais aussi d’une tristesse insondable car elle est annoncée dés le premier épisode. Mike Flanagan ne mise pas tout sur le choc, il sait que la suggestion est efficace et qu’un monstre entraperçu dans la pénombre est plus efficace qu’une créature exposée à une lumière trop vive. Chaque apparition s’imprime sur la rétine du spectateur et le hante comme elle hante les personnages. La femme au coup brisé, l’homme au chapeau et les autres apparitions ne sont pas que les cauchemars de Nell ou de Luke, ils deviennent aussi un peu ceux du spectateur et ce grâce à une mise en scène économe de ses effets, qui se gardent de les galvauder.
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Le passage par l’enfance ajoute une couche dans l’horreur en reconnectant le spectateur avec les frayeurs enfantines quand une ombre dans la chambre est ce qu’il y a de plus terrifiant. La série navigue en permanence entre le présent plus ou moins chaotique et heurté de ses personnages et leur passé (que ce soit l’enfance ou une période moins ancienne de leur vie d’adultes) et pourtant Mike Flanagan ne nous perd. Ce n’est pas un exercice de style ou une coquetterie mais cela sert le récit, même s’ils le refoulent les frères et sœurs Crain sont piégés dans la maison de leur enfance, même quand ils habitent à l’autre bout du pays. Les époques s’entremêlent, s’enchevêtrent sans que ce soit forcé.
En étendant le spectre de son récit Mike Flanagan ne suscite pas que la peur, il provoque aussi des émotions comme la tristesse. La maison hantée est un récit gothique moderne qui amène sa mélancolie dans le XXIe siècle. Le récit se colore même du gris de la tragédie tant le poids du destin se fait pesant sur certains personnages. La maison hantée parle de mort, bien sûr, mais également de dépendance, de la famille, des traumatismes et de comment ils font et défont les individus. C’est une œuvre impressionnante et marquante qui place très haut la barre en matière de séries d’épouvantes mais aussi de film d’horreur. Mike Flanagan en mettant l’accent sur la création de personnages intéressants qui génèrent l’empathie du spectateur rappelle que pour éprouver de la peur pour des êtres de fiction il faut d’abord se soucié d’eux et de ce qui leur arrive.
Donc oui vous être prévenus, La maison hantée de Mike Flanagan est un classique instantané de l’épouvante et un sommet de l’horreur. Une œuvre qui secoue, qui n’est pas là que pour vous faire du bien et c’est pour ça que c’est si bon !
R.V.