Un homme, son cercueil
& une femme
Django un nom qui claque comme un coup de feu. Un héros mystérieux comme les aime le western italien. Un piéton qui se débat dans la fange, la boue des rues et des âmes.
Réalisation : Sergio Corbucci
Scénario : Sergio Corbucci, Bruno Corbucci, Franco Rossetti & Piero Vivarelli Distribution :
Année : 1966 Synopsis : Django marche seul au milieu d’un paysage désolé, il traine derrière lui un cercueil. En chemin il croise la belle Maria et fait halte dans une ville presque fantôme habitée par le propriétaire et les employés du saloon (prostituées incluses) ùµoù s’oppose les hommes du major Jackson, d’anciens confédérés, et ceux du général Hugo Rodriguez. |
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Il y a dans le western italien la figure tutélaire de Sergio Leone. Nous ne pousserons pas le snobisme à minorer son rôle, il est le Père sans qui rien ne serait arrivé, celui qu’on n’a pas besoin de présenter et que même les personnes qui ne s’intéressent pas plus que ça au Septième art connaissent. Sergio Leone est devenu un quasi synonyme de western spaghetti. Dans cette ombre nombre de réalisateurs ont joué des coudes pour s’assurer une place. Sergio Corbucci est de ces seconds couteaux mais lui, à la différence de nombre de suiveurs, allait contribuer à la définition du genre, le western italien, et même d’un sous-genre, le western zapatiste, ces longs métrages se déroulant pendant la révolution mexicaine.
Ce que Sergio Corbucci créa avec Django ce n’est pas seulement un film brutal et cruel et d’une grande noirceur mais aussi l’acte de naissance d’un héros qui serait appelé à connaitre une popularité certaine tant au cinéma (31 films) qu’ailleurs. Django est le film que regarde dans un cinéma en plein air Ivan (Jimmy Cliff) dans The Harder They Come, c’est à ce film que pense le rude boy quand sa fin est proche. The Harder They Come, le premier long métrage jamaïcain entre fiction et documentaire témoigne de la passion des insulaires pour le western transalpin et ses héros qui n’étaient pas forcément complètement blanc. Un autre indice de la façon dont ce personnage imaginé si loin de l’île caraïbéenne imposa sa marque sur la culture populaire insulaire ? The Return of Django fut le nom d’un instrumental et du deuxième album parut en Angleterre des Upsetters de Lee Scratch Perry. Plus près de nous et dans un genre très différent Django donna son nom à une chanson des punks U.S. Rancid sur Indestructible leur album de 2003. Et bien sûr il y a le film de Tarantino, nous y reviendrons, c’est promis.
Le Django originel est un film méchant. Ce n’est pas juste qu’il est violent et cruel, une dizaine de morts et une femme qui d’abord fouettée se voit sauver par des hommes bien décidés à la mettre à mort rien que dans les cinq premières minutes, c’est qu’il est désespéré. Django est un film noir transposé dans un univers boueux. Le western italien plutôt que de se mettre à la remorque des productions américaines cherchait son inspiration au Japon, ici Yojimbo (Toshiro Mifune) d’Akira Kurosawa. Des Japonais qui eux-mêmes transposaient les romans noirs U.S. et singulièrement ceux de Dashiell Hammett (La clé de verre et La moisson rouge) dans le Japon médiéval, le détective privée devenant un samouraï. Le personnage campé par Franco Nero et ses yeux si bleus est en ce sens plus proche d’un Humphrey Bogart que d’un John Wayne. Django, comme les détectives de Hammett, en a trop vu pour être dupe des idéologies et des justifications morales qu’on se donne pour agir. Le personnage place entre lui et le monde un mur, il est froid et distancié. Il ne veut pas s’attacher mais il n’y parviendra pas tout à fait car sa route croise celle de Maria (Loredana Nusciak).
Maria est l’alter ego de Django, ils partagent une même distance et l’on devine que l’une et l’autre sont cassés, que les deux personnages ont eu leur parts de coups durs. Le réalisateur Alex Cox (Sid et Nancy) les décrits comme deux personnages souffrants de stress post-traumatique. Django a participé à la Guerre de Sécession, il a perdu celle qu’il aimait et ce qui semble être son retour au pays natal ne se passe pas très bien. Maria est plus mystérieuse mais on comprend qu’elle est coincée entre les deux bandes rivales, les blancs racistes du major Jackson (Eduardo Fajardo) et les révolutionnaires mexicains du général Hugo Rodriguez (José Bòdalo), dont le conflit déchire la région. Les deux bandes divergent sur plus d’un point mais pas sur leur façon de traiter les femmes qui n’est pas très metoo dans l’esprit. Maria est cette femme au début du film que les Mexicains punissent par le fouet et que les blancs veulent tuer parce que c’est une chienne de Mexicaine, ils songent à la faire brûler mais n’auront pas le temps de mettre en œuvre leur projet.
Les cinq premières minutes de Django, générique inclus sont programmatiques, elles donnent le ton du film en matière de sadisme comme de noirceur du propos. Il n’y aura pas les bons révolutionnaires mexicains (pendant que les Etats-Unis se déchiraient dans leur guerre civil le Mexique connaissait l’intervention française en soutien à l’empereur Maximilien) et en face les méchants sudistes vaincus qui rêvent de revanche mais deux bandes armées menées par des chefs aussi peu scrupuleux que charismatiques.
Django est un errant endeuillé, l’une des spécificités du film étant qu’il est tourné en Italie à Lavinio (les latinistes reconnaitront Lavinium, la ville fondée par Enée en hommage à son épouse Lavinia) un décors et des paysage très loin de l’aridité du sud de l’Espagne terre où Leone tourna ses westerns. Le changement de décors n’est pas anodin. La poussière léonienne est remplacée par une boue collante qui est à l’image de l’enlisement dans lequel se trouve le village abandonné dans lequel arrive Django. Abandonné ? Pas complètement, y reste les occupants du saloon, les filles, le patron et le pianiste, et un type qui ressemble au croque-mort dans les Lucky Luck et qui travaille pour le Major Jackson. Le décors n’a pas de prétention réaliste c’est un non-lieu, des sortes de limbes, un endroit dans lequel on attend. Django va mettre un grand coup dans la fourmilière et n’en ressortira pas indemne.
Avant de vous laisser quelques mots sur le cas Tarantino. Son Django Unchained n’a pas que peu en commun avec le film de Corbucci hormis un fond thématique, Django évoquait le racisme et les hommes du Major Jackson avaient un petit côté ancêtre du Ku Klux Klan, une apparition de Franco Nero (avec des yeux toujours aussi bleus et beaux) et quelques emprunts à la B.O. dont la chanson titre, Django qui reprend du service en générique d’ouverture. Comme souvent les hommages de Tarantino au cinéma qui l’a marqué sont des produits de contrebandes qui se passent de la nécessité de faire un remake. Plus significatif en revanche est que le film de l’Etats-uniens n’a pas ce ton acerbe et noir, il y a dans Django Unchained des bons et des méchants. Une cause juste à défendre. Avec son thème autour de l’esclavage un film relativiste qui aurait renvoyé dos à dos la vengeance de Django (Jamie Fox) et la violence de Calvin Candie (Leonardo DiCaprio), l’esclavagiste, aurait été des plus dérangeants.
L’autre différence qui saute aux yeux entre le film de Corbucci et celui de Tarantino c’est leur rapport à la violence. Dans Django la violence est rarement satisfaisante, elle a une réalité charnelle et n’est pas belle. Dans Django Unchained le violence est plaisance, Tarantino est depuis longtemps passé maître dans l’art de faire gicler le sang (motif récurent du film le rouge qui recouvre du blanc celui des fleur de coton ou des murs). C’est une violence jouissive et expiatoire. Les rares fois où elle échappe à cet aspect de grand défouloir c’est quand sont dépeints les sévices appliqués aux esclaves par leurs maîtres, se faisant elle viendra justifier le grand bain de sang final que Tarantino nous sert en deux parties. Le film du bon Quentin le plus proche de la violence noire de Django ce serait plutôt Reservoir Dogs, oreille coupée incluse.
C’est sa noirceur et son abstraction qui font du Django de Corbucci un film qui reste plus d’un demi-siècle après sa sortie une production qu’on prend plaisir d’abord à découvrir puis à revoir et qui en fait l’un des grands moments du western à l’italienne, pas très loin derrière les réalisations de Sergio Leone.
R.V.