Cadillac & dinosaures
Bienvenue dans le xénozoïque, un future exaltant riche en aventures que Jack Tenrec parcourt en Cadillac et qui est sillonné par des dinosaures et des hommes parfois prêts à tout, y compris le pire, pour survivre
Le genre post-apocalyptique n’est peut-être plus tout à fait à la mode dans la fiction populaire mais cette angoisse existentielle de la fin du monde, de la civilisation, de l'humanité, d'un peu tout ça à la fois ou séparément ne nous a pas quitté et ce qui est bien avec les Chroniques de l’ère xénozoïques c’est que ce comic book relève de ce que l’on pourrait nommer le récit post-post-apocalyptique. Le post-post-apo se passe quand la catastrophe a eu lieu dans le passé et que l’humanité l’a échappé belle. L’existence est difficile mais le pire est derrière ce qu’il reste d’êtres humains au point que l’humanité renoue avec certains de ses travers les moins glorieux.
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Mark Schultz, la force créatrice derrière les Chroniques du xénozoïque (dessins, scénario et le reste aussi) dépeint dans un superbe noir et blanc un monde dans lequel les dinosaures et quelques autres créatures préhistoriques (on croise un mammouth pas commode) sont de retour sur Terre et où l’humanité a on s’en doute bien perdu de sa superbe. A ce retour inattendue d’animaux depuis longtemps disparus s’ajoute l’apparition d’insectes plus gros qu’ils ne devraient l’être ainsi que de créatures plus étranges encore et mystérieuses. Comme si cela ne suffisait pas le niveau de la mer c’est élevé ce qui a transformé New York en archipel de béton, les gratte‑ciels de Manhattan devenant autant d’ilots et de refuges précaires pour les survivants. Les Etats ont été balayés par cette suite de catastrophes et les humains ont repris des structures tribales ou celles de cités états indépendantes et jalouses de leur liberté. C’est dans ce contexte qu’arrive Hannah Dundee une ambassadrice de la ville de Wasson (lointaine héritière de Washington D.C.). Elle y fait la connaissance de Jack Tenrec un shaman, nous apprend-on, qui vit sur la côte et fait figure de protecteur pour la colonie qui vit les pieds dans l’eau. Hannah et Jack sont les deux héros de cette histoire, ce sont leurs aventures que nous racontent avec talent Mark Schultz.
Jack est une figure ambivalente puisqu’il est à la fois en marge de sa tribu, il habite sur la terre ferme, à l’écart donc, il ne veut pas se mêler de politique mais tout le monde se tourne vers lui pour régler les problèmes petits et grands auxquels fait face la communauté. En marge et pourtant au centre de tout Jack Tenrec a une conception particulière du monde et de l’équilibre qu’il faut à tout prix maintenir pour ne pas voir revenir cette catastrophe qui a jadis bien failli faire disparaître l’humanité. Amoureux de la nature il cherche à vivre en bon intelligence avec elle ce qui le met en porte-à-faux avec certains membres de la tribu plus enclin à mettre en avant l’impérieuse nécessité du développement. Des sujets d’actualité pour comic book publié entre 1987 et 1996.
Jack Tenrec ne s’intéresse guère aux hommes du passé et à leur technologique sauf sur un point, les grosses voitures américaines et spécialement les Cadillac des années 50. En contraste Hannah Dundee est beaucoup plus intéressée par le passé de l’humanité, elle est plus intellectuelle que son partenaire. Dundee a un goût pour le nouveau que n’a pas Tenrec. Curieuse elle provoque quelques soucis à Jack mais elle n’est pas pour autant un personnage gadget, une potiche mise là pour faire jolie, une nunuche qui crée des accidents pour mieux mettre en valeur le héros masculin. Hannah Dundee n’est pas une demoiselle en détresse. Dans la deuxième chronique, Opportuniste, elle résout un problème de créature marine vorace qui attaque les pêcheurs sans l’aide de personne, en recourant à son savoir et à son intelligence. Jack Tenrec n’apparaît même pas dans cette histoire. La belle brune, car elle est belle comme une actrice des années 40 ou 50, quand il le faut sait faire usage de violence, elle tire juste quand il le faut. Surtout elle offre un contrepoint à la vision conservatrice du monde de Tenrec qui est un gardien des traditions. Evidemment il n’est pas conservateur comme peuvent l’être certains de nos contemporains mais comme le serait quelqu’un qui après la catastrophe s’inquiète de voir l’humanité reprendre un chemin qui ne lui a pas réussi et ce chemin n’est autre que celui de nos sociétés contemporaines, celui de l’exploitation de la nature, la recherche de profits, la destruction de notre environnement. Oui les Chroniques de l’ère xénozoïque sont des fables écologiques.
Dans un avant-propos écrit par Mark Schultz, en ouverture de l’intégrale chez Akileos, l’auteur revient sur la genèse de son ère du xénozoïque, il y cite les écrits de Robert E. Howard (on retrouve ses illustrations dans le premier volume de l’intégrale de Conan paru chez Bragelonne), le film Hatari ! d’Howard Hawks (Jack Tenrec fait penser au personnage incarné par John Wayne), Tarzan avec Johnny Weissmuller, le serial Jungle Girl avec Frances Gifford. L’ère xénozoïque et les personnages de Tenrec et Dundee sont la cristallisation de souvenir d’enfance et de marottes d’adolescents.
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Schultz se sert de se substrat de culture pop pour créer et offrir à ses lecteurs une fiction irriguée par la question écologique et du mal que l’homme peut faire à son environnement. Si la cause de la catastrophe qui a balayé les sociétés capitalistes n’est pas explicitée clairement on comprend sans peine qu’il s’agit d’un cataclysme lié à la question climatique et à la pollution générée par les sociétés industrielles avancées. On ne parlait pas déjà d’anthropocène en 1987, lorsqu’est paru la première des Chroniques de l’ère du xénozoïque mais c’est de ça dont parle Schultz du déséquilibre de la nature provoqué par les actions d’une humanité qui est en guerre contre son environnement plutôt que de chercher la symbiose avec lui. le retour d’animaux éteint est lui plus clairement explicité et est une conséquence d’un dérèglement préexistent et de la conviction que la technologie pourra réparer ce que la technologie à abimer.
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Tenrec évite autant que possible de tuer les animaux et on découvre qu’il sait se montrer sans pitié contre un chasseur animé par le lucre. Il est aussi intraitable avec les braconniers ce qui contraint ceux-ci à aller plus au sud ce qui cause des tensions avec les Wassons, le peuple d’Hannah Dundee (vous suivez ?). Le xénozoïque est un décors fascinant et riche. Jack est parce qu’il est un shaman en contact avec les hommes-lézards, les Griths, qui vivent dans la terre et qui l’on choisit comme intermédiaire entre eux et le reste de l’humanité, bien sûr il s’agit d’un secret et il ne cache pas son étonnement lorsque les Griths se manifestent à Hannah Dundee. C’est le premier indice que quelque chose lie ces deux personnages même s’ils n’en ont pas conscience.
Illustrateur chevronné, Mark Schultz fait des merveilles dans le registre du noir et blanc. Le séquençage est dynamique ce qui profite à l’action et au mouvement. Grand illustrateur Schultz a un dessin vivant qui évoque ceux que l’on pouvait trouver chez EC Comics (Tales From The Crypt… voir les épais volumes qu’Akileos dédie à l’éditeur culte) qui a été pour lui une influence majeure. Après un diplôme obtenu en 1977 il travaille comme illustrateur pour la publicité et d’autres emplois pour vivre au quotidien. Les Chroniques de l’ère xénozoïque sont à leur création dans la deuxième moitié des années 80 les œuvres d’un presque novice dans la bande dessinée ce qui est étonnant tant l’ensemble paraît maîtriser et la qualité du dessin y est pour beaucoup dans cette impression. Chaque histoire est racontée en huit planches, un format qui fait merveille pour ces histoires enlevées. Ces aventures se suivent plus ou moins pour offrir un récit lâche mais prenant et qui laisse place à l’imagination du lecteur. Le pire est qu’il s’agit d’une œuvre inachevée même s’il se pourrait que cette injustice finisse dans un avenir pas si lointain par être réparée.
R.V.